J'ai sous mes yeux ébahiiiiis l'exceptionnelle loi d' "engagement national pour l'environnement", plus connue sous son sobriquet de Grenelle II (supplément du "moniteur", juillet 2010, publication de référence dans le BTP - également "lisible" sur "légifrance").
Cette loi, déjà commentée sur le fond à plusieurs reprises dans ces colonnes (* voir liens de bas de page), mérite qu'on s'arrête à sa forme:
Sa lecture intégrale vous donnera le loisir de parcourir 257 articles
de longueur très variable. En format Magazine, avec une police de
caractère de type Sérif 11 ou 12 points, de type Times new Roman,
avec une maquette bi-colonne par page, 101 pages sont nécessaires à son
impression. Un copier coller depuis Légifrance nous donne, dans mon
traitement de texte, 163 pages A4, 3826 paragraphes, 96 981 mots, et 648
074 caractères espaces compris. Pour vous donner une idée, mon ouvrage
"logement, crise publique, remèdes privés", 220 pages au format livre
"club", en compte moins de 200 000.
Si certains articles
tiennent en une phrase, beaucoup contiennent en fait un nombre important
d'alinéas et de sous alinéas qui en font toute la beauté foisonnante.
Ainsi, le très poétique article 121 intitulé "Trame verte et bleue"
nécessite 4 pages "moniteur" et environ 9 000 signes ou 1200 mots à lui
tout seul.
Ah, que la douce mélopée du verbe législatif s'instille suavement dans nos oreilles d'assujettis, faisant vibrer nos épidermes de doux frissons républicains et réveillant nos synapses endolories de fugaces caresses administratives.
Un spaghetti textuel illisible
La plupart des articles se présentent ainsi:
"L'article
L.NNN-nn du même code (**) est modifié par l'ajout de la mention
suivante à la fin du paragraphe terminé par "zone protégée" :
bla-bla-bla"
(**) "Le même code" a été défini 5 articles et deux pages auparavant...
Ce qui rend difficile la compréhension du texte pour quiconque ne
connaît pas par coeur le texte des articles de codes préexistants ainsi
modifiés. Pire encore, les mentions ajoutées se réfèrent, évidemment, à
des références du texte initiale qui deviennent implicites et donc non
rappelées dans le paragraphe ajouté.
Un petit exemple intégral, l'article 118 (nb. Il est question du code rural, vous l'auriez bien sûr deviné):
Il ne manque plus qu'une mention de la préservation de la biodiversité pour que le parachèvement de l'absolu bureaucratiforme, de l'extatique étatique, du saint-graal environnemental, soit total. Ah non, cela figure dans des articles ultérieurs, désolé.
Allez, un autre, l'article 6 (le "même" code est celui des impôts) :
Clair, non ?
A noter que Légifrance - le site du "Journal Officiel", tout de même - fait un usage très modéré du lien hypertexte (pas plus d'une référence sur 5 est liée), qui pourrait pourtant apporter non pas une solution, mais au moins un début d'amélioration, à la situation.
Trop compliqué, sans doute, avec les maigres moyens dont l'administration dispose ;-)
Une loi un peu courte, à compléter d'urgence par des décrets
Encore plus fort: nombre d'alinéas renvoient à de futurs décrets pour préciser le présent texte, il est vrai un peu court avec ses seuls 3800 paragraphes, pour pouvoir intégrer toutes les nuances législatives induites par le génie de Jean Louis Borloo. Ainsi, à l'article 8 :
Comme l'article en lui même n'est pas très loquace sur le contenu de l'annexe, il faut en déduire que le législateur laisse toute latitude à la bureaucratie pour em...papaouter les co-contractants de baux commerciaux de droit privé, puisque le décret sera simplement validé en conseil des ministres, entre une loi sur le port du string à l'école et une autre sur le filtrage des méchants blogueurs sur l'internet, c'est à dire qu'en fait, c'est un simple fonctionnaire qui aura le pouvoir d'écrire la partie substantielle de la loi, sous une supervision lointaine des cabinets ministériels.
Egalement, à l'article 3, un beau cadeau à l'industrie du matériau isolant et de la chaudière à condensation, dont le détail sera précisé "par un décret en conseil d'état":
« Art.L. 111-10-3.-Des travaux d'amélioration de la performance énergétique sont réalisés dans les bâtiments existants à usage tertiaire ou dans lesquels s'exerce une activité de service public dans un délai de huit ans à compter du 1er janvier 2012.
« Un décret en Conseil d'Etat détermine la nature et les modalités de cette obligation de travaux, notamment les caractéristiques thermiques ou la performance énergétique à respecter, en tenant compte de l'état initial et de la destination du bâtiment, de contraintes techniques exceptionnelles, de l'accessibilité des personnes handicapées ou à mobilité réduite ou de nécessités liées à la conservation du patrimoine historique. Il précise également les conditions et les modalités selon lesquelles le constat du respect de l'obligation de travaux est établi et publié en annexe aux contrats de vente et de location. »
La technocratie va pouvoir se défouler dans le décret, avec l'aide bienveillante de quelques lobb... pardon, de quelques industriels bienveillants qui leur prodigueront toute la connaissance technique nécessaire.
A qui profite l'illisibilité ?
Et comme par hasard, pratiquement un article sur 2 de ladite loi, quand on y regarde de plus près, est un prétexte pour donner aux bureaucraties de l'état du pouvoir supplémentaire de réglementations, contrôle, empêchement d'agir, justification de poste budgétaire, etc.
Comme le dit Christian Julienne, président de la fondation Héritage et Progrès, aucun conseil d'administration privé n'accepterait d'étudier une résolution de la direction présentée avec une telle désinvolture.
Le premier résultat est que très peu de députés auront effectivement lu le texte avant de le voter, et qu'ils seront encore moins nombreux à l'avoir compris, vu leur niveau d'implication général dans l'action législative (voir H16 pour les détails). Et il en est ainsi de 9 textes sur 10 votés chaque année au parlement. Pourtant, ces textes induisent à chaque fois des conséquences majeures pour les citoyens, qu'elles soient économiques ou qu'elles concernent nos libertés fondamentales.
Le second résultat est que chaque loi modifie quasiment tous les codes (impôts, urbanisme, ruralité, environnement, etc...) qui régissent le quotidien des français, participant d'une incessante instabilité des textes préjudiciable à la prévisibilité des décisions de justice.
Vous avez compris: ce sont les fonctionnaires d'état spécialisés qui ont rédigé (enfin, "rédigé"... façon de parler !) ce texte qui sont les véritables détenteurs du pouvoir. L'illisibilité de la loi est une des techniques dont la technostructure se sert pour façonner notre société selon les lubies de ses leaders d'opinion... Et ses intérêts de caste bien compris.La France crèvera de sa bureaucratie. Ah pardon, elle est déjà morte, mais elle ne le sait pas encore.
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(*) Lire aussi :
- Grenelle 2, une loi de guerre contre les français
- Grenelle 2, comment se loger après 2012
- Ne pas confondre "méchants lobbystes" et "gentils bénéficiaires du Grenelle"
- Dans quelle ville voulons nous vivre demain ?
Les a-côtés du Grenelle :
- Pour en finir avec la diabolisation de l'étalement urbain
- Les lois anti étalement urbain sont un échec : renforçons les
- De l'étalement à l'étoilement urbain
- Réglementation foncière et crise du logement, problèmes et solutions
- Immobilier anglais, ou l'archétype de la faillite de la planification spatiale
- Houston, Dallas, les grandes villes libres sont elles des enfers urbains ?
- Les causes immobilières et foncières de la crise des subprimes
- Droit des sols français: un vol légal au profit des bien nantis
- Vive la bagnole !
- En finir avec le fantasme ferroviaire
Et aussi :
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Affolant.
Rédigé par : h16 | mardi 27 juillet 2010 à 10h01
Oui, la technostructure qui entretient son pouvoir et transforme les ministres en marionnettes...
Rédigé par : Seb Fargis | mardi 27 juillet 2010 à 11h04
Il y a aussi pas mal de lois qui ne reçoivent que tardivement voire jamais leur décret d’application. Le Grenelle de l’Environnement était d’abord un truc d’affichage. Qu’est ce qu’il en restera dans quelques années ? Difficile à dire.
Mais il est vrai que le maquis réglementaire et législatif commence à engluer la société. Un bon coup de débroussailleuse va devenir nécessaire.
Rédigé par : jb7756 | mardi 27 juillet 2010 à 11h20
Dieu, Noé et l'administration française
En 2009 après Jésus-Christ, Dieu visite Noé et lui dit:
"Une fois encore, la terre est devenue invivable et surpeuplée.
Construis une arche et rassemble un couple de chaque être vivant ainsi que quelques bons humains. Dans six mois, j'envoie la pluie durant quarante jours et quarante nuits, et je détruis tout !"
Six mois plus tard, Dieu retourne visiter Noé et ne voit qu'une ébauche de construction navale.
- Mais, Noé, tu n'as pratiquement rien fait ! Demain il commence à pleuvoir!
- Pardonne-moi, Tout Puissant, j'ai fait tout mon possible, mais les temps ont changé :
J'ai essayé de bâtir l'arche mais il faut un permis de construire et l'inspecteur me fait des ennuis au sujet du système d'alarme anti-incendie.
Mes voisins ont créé une association parce que la construction de l'échafaudage dans ma cour viole le règlement de copropriété et obstrue leur vue. J'ai dû recourir à un conciliateur pour arriver à un accord.
L'Urbanisme m'a obligé à réaliser une étude de faisabilité et à déposer un mémoire sur les coûts des travaux nécessaires pour transporter l'arche jusqu'à la mer. Pas moyen de leur faire comprendre que la mer allait venir jusqu'à nous. Ils ont refusé de me croire.
La coupe du bois de construction navale s'est heurtée aux multiples Associations pour La Protection de l'environnement sous le triple motif que je contribuais à la déforestation, que mon autorisation donnée par les Eaux et Forêts n'avait pas de valeur aux yeux du Ministère de l'environnement, et que cela détruisait l'habitat de plusieurs espèces animales. J'ai pourtant expliqué qu'il s'agissait, au contraire de préserver ces espèces, rien n'y a fait.
J'avais à peine commencé à rassembler les couples d'animaux que la SPA et WWF me sont tombés sur le dos pour acte de cruauté envers les animaux puisque je les soustrayais contre leur gré à leur milieu naturel et que je les enfermais dans des pièces trop exiguës.
Ensuite, l'agence gouvernementale pour le Développement Durable a exigé une étude de l'impact sur l'environnement de ce fameux déluge.
Dans le même temps, je me débattais avec le Ministère du Travail qui me reprochait de violer la législation en utilisant des travailleurs bénévoles.
Je les avais embauchés car les Syndicats m'avaient interdit d'employer mes propres fils, disant que je ne devais employer que des travailleurs hautement qualifiés et, dans tous les cas, syndiqués.
Enfin le Fisc a saisi tous mes avoirs, prétextant que je me préparais à fuir illégalement le pays tandis que les Douanes menaçaient de m'assigner devant les tribunaux pour tentative de franchissement de frontière en possession d'espèces protégées ou reconnues comme "dangereuses".
Aussi, pardonne-moi, Tout Puissant, mais j'ai manqué de persévérance et j'ai abandonné ce projet.
Aussitôt les nuages se sont dissipés, un arc-en-ciel est apparu et le Soleil a brillé.
- Mais tu renonces à détruire le monde ? demanda Noé.
- Inutile, répondit Dieu, l'administration française s'en charge.
A propos voici une blague sur la bureaucratie française.
Rédigé par : zu wetan | mardi 27 juillet 2010 à 11h40
zu wetan@
J'adore!!
Rédigé par : gordon | mardi 27 juillet 2010 à 13h07
Vivement qu'un grand ménage soit fait dans toutes ces législations à la con (mais il faut commencer par virer les législateurs à la con).
Rédigé par : Le Champ Libre | mardi 27 juillet 2010 à 14h33
@Zu Wetan: merci !
Rédigé par : vincent | mardi 27 juillet 2010 à 19h40
La machine s'auto-entretient. Les economies? Balivernes.
Rédigé par : Tom Rude | mercredi 28 juillet 2010 à 04h44
les textes réglementaires sont façonnés par des gens qui sont passés par l'Ecole Nationale d'Administration.
Certes, cette école supérieure a une histoire et une "culture" qui peut expliquer que le formalisme et la réthorique paraissent alambiqués pour les non-initiés.
Mais sa mission a toujours été de former les décideurs publics de demain et il ne saurait être question d'en décider la suppression pure et simple comme le font allègrement certains, ici même.
Rédigé par : maurice b. | vendredi 30 juillet 2010 à 19h57