Ainsi, l'inflation officielle aux USA tourne entre 3 et 4% en rythme annuel : c'est plus que l'objectif de 2% qui était affiché dans les années d'avant crise, mais pas de quoi hurler à l'hyper-inflation non plus.
Ajoutons que, selon les calculs de Mish Shedlock, si on inclut les prix de l'immobilier à l'achat et non à la location dans l'indice, l'inflation est encore plus faible, après, il est vrai, avoir été fortement sous estimée pendant les années "bulle" :
(Nb : j'ai documenté ce phénomène ici : "l'expansion du crédit a diminué le pouvoir d'achat réel" et "économie Bullaire et fausse création de valeur")
En
France, selon l'INSEE, l'inflation 2011 est de l'ordre de 2,5% (rythme
annuel) en fin d'année. Un peu plus élevé que d'habitude, mais là
encore, on est loin d'un choc inflationniste.
Alors,
MM. Bernanke et Draghi sont ils des magiciens ? Ont ils réussi à trouver
"la" formule qui permet de créer de la monnaie ex-nihilo sans
inflation ? Ou bien la réalité est elle plus complexe ? Abordons
rapidement plusieurs aspects actuels de l'évolution des prix.
Inflation du riche et du pauvre
Pourtant, certains affirment que l'inflation des prix des "produits de consommation courante" serait plus proche de 10%. Que l'inflation est un composite entre le prix des carottes, du gaz pour se chauffer et de l'essence pour se déplacer, et des TV à écrans plats et des Ipads. Quand le prix de l'électronique grand public baisse, ou quand les automobiles "low cost" voient leur part de marché augmenter, l'indice des prix est tiré vers le bas.
De même, si le prix des viandes de luxe augmentent, les consommateurs tendent à se rabattre sur des viandes moins coûteuses, voire à diminuer leur consommation : la hausse des prix est ainsi amortie.
Que disent les statistiques officielles ? Voici la décomposition INSEE de l'inflation poste par poste (source) :
Les coûts de l'alimentation et de l'énergie sont de loin ceux qui augmentent le plus : 3,3% et surtout 9,3% en rythme annuel.
Naturellement,
en temps de crise, les moins fortunés, ceux qui ont perdu leur emploi,
ceux qui glissent vers la précarité permanente, se préoccupent plus de
la hausse du coût de leur chauffage ou de leur nourriture que de
profiter de la baisse graduelle du prix des ordinateurs ou des Ipads. La
situation actuelle est donc bien plus mauvaise pour les plus modestes
que pour les plus aisés.
Prix des matières premières :
Voici
l'indice moyen du prix des matières premières (alimentaires et non
alimentaires, hors métaux précieux et pétrole) exprimés en Euros (source euroeconomics) :
Depuis
la chute consécutive à la crise de 2008, les matières premières ont vu
leurs prix littéralement exploser entre 2009 et 2010, et ont consolidé à
la baisse en 2011. En 2012, ils semblent repartir à la hausse.
Les
prix du pétrole affichent eux aussi une courbe similaire, mais encore
plus marquée : après une pointe à 140$ mi 2008, ils sont tombés à près
de 40 début 2009 pour réaugmenter à 124 maintenant.
Or,
contrairement à des idées reçues, la demande de pétrole reste faible
notamment aux USA et dans la zone Euro, et l'offre ne souffre guère des
actuels soubresauts du moyen orient (source : alt-market).
L'article
lié ci dessus affirme que la seule explication plausible de la hausse
du pétrole est l'injection massive de liquidités par la fabrication de
dollars par la FED. Cette explication tient elle la route ?
Dollar et Euro contre monnaies "gérées classiquement"
Pour
le savoir, comparons l'évolution du dollar et de l'Euro contre des
monnaies dont les banques centrales ont évité d'avoir recours au
quantitative easing depuis 2009 : le Brésil (qui vient de modifier sa
politique, soit dit en passant) et l'Australie :
AUD/USD, 2009-now (une courbe montante indique que l'AUD se valorise par rapport à l'USD) :
Le Dollar US a perdu pas mal de valeur entre 2009 et 2011 face à deux autres devises importantes.
Idem pour l'Euro :
AUD/EUR (courbe montante = hausse du dollar australien) :

La
dépréciation relative de l'Euro et du Dollar US face à des monnaies
gérées de façon plus orthodoxe est de l'ordre du tiers de leur valeur :
elle ne peut donc pas expliquer la totalité de la hausse des matières
premières mais une bonne partie : la hausse des matières premières a été
bien moins importante exprimée en AUD ou en Réal Brésilien, qu'en Euros
ou en Dollar US.
Il y a beaucoup de choses qui sont plus chères
qu'elles ne le seraient, exprimées en Euro ou en Dollars, si la FED et
la BCE n'avaient pas chargé la finance mondiale de liquidités. Peut on
inférer que d'autres hausses de marchés ont été impactées par ces
injections ? Quelle est la part des opérations d'injection de liquidités
dans la bonne tenue des marchés d'actions ? Il est impossible de le
quantifier, en l'état actuel de la connaissance économique, l'influence
de cette folie injectrice dans chaque segment de l'économie.
Pourquoi une "inflation résultante" modérée ?
Les
raisons pour laquelle l'inflation "globale" est modérée, malgré la
hausse considérable de la base monétaire fournie par la BCE et la FED
sont à rechercher dans les effets collatéraux de la crise :
-
D'une part, du fait de la crise, beaucoup de grandes entreprises ont
fait de gros efforts de gains de productivité, ce qui se traduit par une
hausse très faible des produits manufacturés (1% en France) malgré la
hausse sensible des matières premières.
- D'autre part, le
crédit bancaire vers le secteur non financier a cessé de croître, voire
s'est contracté à certaines périodes, limitant du même coup l'expansion
de la masse monétaire globale en circulation. Le Graphe ci dessous (source : euroeconomics) montre la variation mensuelle du crédit en zone Euro :
L'inflation peut elle surgir comme au coin d'un bois ?
Mais
attention : rien ne dit que l'inflation restera modérée si les banques
centrales continuent à créer de la monnaie pour boucher les trous des
états impécunieux. Et franchement, on ne voit pas pourquoi elles
arrêteraient de le faire, puisqu'elles croient avoir trouvé la
martingale de la création monétaire sans "inflation résultante".
L'historienne
de l'économie Amity Schlaes, auteur entre autres d'une excellente
biographie non complaisante de Franklin Delano Roosevelt, publie sur
Bloomberg d'intéressants rappels historiques sur les épisodes d'inflation passés :
-
En 1972 aux USA, alors que le gouvernement venait de supprimer la
convertibilité du dollar en or, et que la FED avait relaché sa politique
monétaire pour financer la politique militaire américaine, l'inflation
n'était que de 3,2%. Mais elle atteint 6% en 1973 et 11% en 74 (source), provoquant une décennie économique de stagnation aux USA.
-
La même séquence se retrouve lors des deux guerres mondiales : malgré
l'impression monétaire importante pendant les conflits, l'inflation est
restée d'abord limitée, avant de dépasser largement 10% deux ans après.
-
Même dans l'Allemagne de Weimar, l'inflation est restée sage en 1922
alors que l'impression monétaire avait déjà été décidée par le
gouvernement allemand pour faire face aux réparations du traité de
Versailles. Dès 1923, l'inflation devint incontrôlable.
Bref,
des exemples de banques centrales qui ont cru pouvoir jouer avec leur
masse monétaire sans rallumer une hausse généralisée des prix et qui se
sont fait dépasser par la vague inflationniste existent bel et bien.
Nous
sommes actuellement dans une phase où les banques centrales essaient de
combattre un choc déflationniste par l'injection monétaire. Pour
l'instant, les forces déflationnistes contiennent la hausse des prix.
Mais que moindrement les banques, qui se seront refaites un bilan grâce
aux milliards d'aides diverses accordées par les banques centrales sous
diverses formes, se remettent à prêter, et alors la "vélocité" de la
monnaie (sa vitesse de circulation, en quelque sorte), pourrait se
rapprocher de sa norme historique. Et avec une base monétaire multipliée
par trois, alors l'inflation devrait cesser de se cantonner aux marchés
financiers ou aux matières premières.
Laisser faire la déflation, une alternative raisonnable ?
La
"non-inflation" actuelle n'est pas un "calme plat" sur les prix mais la
résultante d'une pression haussière sur les matières brutes et d'une
énorme pression baissière sur les coûts de production des biens
manufacturés. Cette pression baissière a sorti de l'économie productive
de nombreux chômeurs et forcé à la baisse nombre de salaires : tous ces
gens qui ont vu leurs revenus chuter de façon parfois dramatiques se
seraient trouvés nettement mieux dans une économie en phase de choc
déflationniste assumé et rapide.
En outre, des prix en baisse
généralisée auraient été générateurs d'opportunités pour tous ceux qui
ont un peu d'épargne et qui auraient voulu la faire fructifier en
investissant dans des entreprises. Au contraire, avoir choisi de
compenser la déflation par la création monétaire non seulement réduit
ces opportunités, mais favorise l'incertitude et donc l'investissement
dans des "valeurs refuges", comme l'or, l'immobilier haut de gamme, ou
l'art, qui ne sont que des moyens de stockage de valeur spéculatifs qui
ne produisent rien de tangible.
Si les états avaient assumé le
choc financier de 2008 en laissant les banques mal gérées faire
faillite, voire en aidant à ce que cette faillite se produise dans de
bonnes conditions (thème battu et rebattu dans mes colonnes : article 1 | article 2 | article 3),
le choc déflationniste initial aurait été assez brutal, et aurait, de
la même façon, forcé nombre de revenus à la baisse. Mais les victimes de
ces baisses auraient pu compter sur des prix en baisse pour s'en
sortir. Mais en contrepartie, l'assainissement des bilans bancaires et
la fermeture des mauvaises banques aurait permis aux survivantes de
revenir rapidement sur le marché du crédit... En étant obligées de tenir
compte des leçons de la débâcle. Conjuguée avec l'existence
d'épargnants entrepreneurs et d'opportunités de création de valeur
rendue possible par des prix plus bas, cette résurrection bancaire
aurait permis aux économies de se sortir rapidement du marasme et de
redémarrer sur un bon pied.
Mais évidemment, la déflation aurait
fait souffrir ceux qui ont de la dette, au premier rang desquels les
états, et les banques, qui travaillent toutes avec des ratios de fonds
propres d'une faiblesse insigne. Et cela, ni les états, ni les banques,
qui leurs prêtent des sommes si importantes que les états se doivent de
les ménager, ne l'ont voulu.
Résultat : pour éviter une
dégradation de leur endettement par décroissance temporaire du PIB, les
états ont... dégradé leurs ratios d'endettement par fuite en avant dans
la dette, ce qui ne vaut pas mieux, et menace de faire sortir le diable
inflationniste de sa boite... Non, l'alternative déflationniste n'était
pas du tout déraisonnable.
Si l'inflation sort de sa boite, tous aux abris !
Lorsque
la stagflation des années 70 a pris tous les gouvernements par
surprise, le chômage était faible en début de période. Le monde sortait
des "trente glorieuses" d'après guerre, les états n'avaient pas encore
pu "profiter" de la fin de l'étalon or pour multiplier leurs dettes
comme des petits pains. Les années 70 furent difficiles pour nombre de
personnes, des pays comme la Grande Bretagne et les USA passèrent très
près d'une véritable catastrophe économique, la France vit son chômage
multiplié par 8, mais les économies occidentales ont fini par digérer
cette décennie noire.
Mais si l'inflation sort de sa boite dans
les 18-36 mois à venir, avec un chômage en début de cycle supérieur à
10%, des états sur-endettés qui verront les taux d'intérêt demandés par
les prêteurs bondir, et qui seront incapables de financer leurs
dispositifs d'aides sociales en tout genre pour lesquels la demande
politique sera au plus haut du fait de la hausse des prix, alors des
troubles sociaux graves sont à prévoir. Les manifestations de plus en
plus dures que l'on observe un peu partout face à la crise n'en sont que
les prémisses. A côté de ce qui nous attend, les années 70 feront
figure d'aimable péripétie.
Du coup autant autoriser les états à faire marcher la planche à billet en supprimant la loi de 1973 qui interdit la BCE de prêter directement aux banques ?
L'inflation de l'INSEE est une blague sans nom... peut être qu'au final, "il" nous font "absorber" l'inflation petit à petit depuis déjà quelques années?
Rédigé par : keyvan | mercredi 28 mars 2012 à 18h09
Du coup autant autoriser les états à faire marcher la planche à billet en supprimant la loi de 1973 qui interdit la BCE de prêter directement aux Etat ?
Et si je comprends bien, l'argent prêté aux banques est injecté sur les marchés maintenant la bourse à des niveaux "correctes"..
Rédigé par : keyvan | mercredi 28 mars 2012 à 18h33
@ Keyvan: la loi de 73 n'évoque pas la BCE, et pour cause. Concernant cette loi, toutes les conneries ont été dites ou presque. Contrepoints remet un peu de rationnalité dans ce débat:
https://www.contrepoints.org/2012/03/12/72842-idees-recues-sur-la-loi-du-3-janvier-1973-dite-loi-rothschild
Rappelons que la loi a été votée justement deux ans après l'abandon de l'étalon or par les USA, pour empêcher toute tentation de faire marcher la planche à billets, et se retrouver avec une économie de Weimar.
Rédigé par : vincent | mercredi 28 mars 2012 à 23h35
J'ai fait un raccourci puisque c'est la banque de France. Au final, la loi n'a pas permis d'empêcher de faire marcher la planche à billets ces derniers temps.. :)
Rédigé par : keyvan | jeudi 29 mars 2012 à 10h19
@keyvan
Empêcher de faire marcher la planche à billet avec une banque centrale et une fiat money relève du voeu pieux. Avec ou sans loi permettant à la banque centrale de racheter directement des bons du trésor. Les courroies de transmission ne sont alors pas les mêmes, mais les résultats eux sont identiques.
La BCE arrive peu ou prou aux mêmes résultats que la FED : soutenir artificiellement le marché des obligations d'Etat, par création monétaire, en pourrissant son bilan et générant de l'inflation.
Rédigé par : ST | mardi 03 avril 2012 à 09h32
@ ST
je suis d'accord avec vous, cependant, sans cette loi auront nous le droit à un vrai taux d'inflation ?
Car j'ai du coup, l'impression qu'on se moque de moi en me disant que l'inflation est de 2-3%, alors que le on est loin de la vérité..
Je suis pas sûr que dans l'esprit collectif, cet loi revient à dire que c'est faire marcher la planche à billet..
c'est peut être utopique..
Rédigé par : keyvan | mercredi 04 avril 2012 à 16h10
@keyvan
C'est un problème de définition, et cette loi ne change rien au problème. Si vous définissez l'inflation comme une augmentation générale des prix, vous êtes de toute manière confronté à la subjectivité du calcul de cette augmentation : comme les prix relatifs des produits varient sans cesse, que les produits eux-même varient sans cesse (comment comparer le prix des ordinateurs dont les caractéristiques varient d'une année sur l'autre) et que le panier d'achat des ménages varie sans cesse (et notamment en fonction des prix relatifs des produits ...), le calcul de l'inflation des prix est une mission impossible, éminemment subjective et manipulable. Mais l'inflation, dans la vision libérale classique et autrichienne, est avant tout un phénomène monétaire : c'est l'augmentation de la quantité de monnaie (donc la mesure de la dépréciation d'une monnaie) qui en effet a une incidence automatique sur les prix (si je double du jour au lendemain la quantité de monnaie disponible dans une économie sans changer le nombre de biens disponibles, les prix doublent). Les variations de prix liées au marché (une pénurie d'un bien entraîne l'augmentation de son prix par ex) ne sont pas un problème, mais une solution (c'est le fonctionnement normal du marché, qui permet l'adaptation de l'offre à la demande par la fixation d'un prix d'équilibre). Ce qui est problématique, c'est l'impact sur les prix d'une manipulation artificielle de la masse monétaire par la banque centrale. Mais nul n'est besoin de chercher à le mesurer dans les prix, il suffit de mesurer l'inflation à sa source, dans la création artificielle de monnaie.
Rédigé par : ST | vendredi 06 avril 2012 à 10h51