Je ne résiste pas à l'envie un tantinet sadique de vous infliger 26 minutes de propagande produite par le ministère de la construction, en 1962, vantant le "renouveau urbain" que constituaient les quartiers HLM et les villes nouvelles. Attention, les images qui suivent peuvent provoquer un état d'hébétude incrédule.
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Pour ceux qui n'ont pas le courage de visionner tout le documentDans un "Soviet Style" du plus bel effet, le narrateur nous vante les mérites de l'urbanisme étatisé de masse promu depuis le milieu des années 50, suite aux actions revendicatives de l'Abbé Pierre. Sans résumer toute la vidéo, en voici l'introduction: sur des images en vue aérienne d'une ville nouvelle où les barres disputent l'horizon aux tours, la voix désincarnée nous annonce que :
"La où voici 10 ans, s'étendait cette banlieue confuse, anarchique, étriquée dont nous rougissions, se déploient aujourd'hui les images d'un pays neuf"
Le ton est donné. Pourtant, vers 2'40", éclair de lucidité: le ministère de la construction évoque les ravages du blocage des loyers de l'entre deux guerres, qui a détourné l'investissement privé de la construction, puis les conséquences du conflit lui même.
Hélas, l'éclaircie n'est que passagère. En tire-t-on la conclusion que, l'état ayant bien semé la misère de toutes les façons possibles et imaginables, il devrait se retirer du marché du logement, et laisser les forces du marché satisfaire la demande énorme née de la situation extraordinaire de l'après guerre ? Non. Bien au contraire. L'état, nous dit on, "a pris ses responsabilités". A la façon d'un Staline ou d'un Krouchthchev, il va ériger sur deniers publics des millions de logements "tours et barres" pour "résourdre le problème de l'habitat". Dont nous constatons tous, 60 ans plus tard, à quel point il est résolu.
Le narrateur nous emmène ensuite dans à peu près toutes les cités à problèmes d'aujourd'hui: Epinay, Sarcelles, Massy, Bobigny, Bron-Parilly, Marseille Nord... A chaque fois, le narrateur -qui, je le rappelle, s'exprime au nom du gouvernement de l'époque- vante l'inventivité des architectes pour concillier entassement de masse et "une certaine vision de la beauté formelle", dans un sabir fleurant bon le concours public d'architecture où l'important n'est pas de produire un beau bâtiment, mais de flatter l'égo -et, parfois, par dessous la table, le portefeuille...- de l'élu local qui devra prendre la décision de lancer le chantier...
Quelles leçons tirer de ce document ?
- Tout d'abord, il montre à quel point la pensée de l'état prétendûment "visionnaire" n'est qu'utilitarisme: il fallait loger du monde ? On a construit des cubes habitables, on les a enrobés de "subtiles variations de volume et de couleur pour créer des surprises dans les perspectives", afin de pouvoir dire qu'on ne faisait pas "que" de la cage à poules. Comment ces quartiers allaient ils vivre ? Quel tissu économique, scolaire, culturel, pourrait s'y développer ? Qu'importe.
- Il est fréquent d'entendre dire par les adversaires du libéralisme que celui-ci ne serait qu'un utilitarisme économique au profit des puissants. Qu'ils regardent cette vidéo. Puis qu'ils viennent nous expliquer comment des promoteurs privés chargés de VENDRE leur production à des acheteurs non contraints et non subventionnés auraient pu produire de telles abominations en série... Le promoteur privé, qui risque sa chemise s'il propose aux gens un produit mal conçu, n'aurait-il pas dû, mieux que l'état, se préoccuper d'esthétique ? Du bon équilibre entre logements et services ? De la desserte des quartiers par des infrastructures adaptées ? Aurait-il pu sombrer dans le gigantisme bétonnant ?
- Si on considère ce que sont devenus ces quartiers, on se rend compte à quel point les grands plans d'état sont porteurs de risque systémique pour les sociétés. Certes, aucun promoteur privé n'aurait pu prévoir, lui non plus, les changements de la politique migratoire, l'émergence des politiques monétaires laxistes post-étalon or, ou les effets secondaires du renforcement de la prohibition des drogues, et l'effet de ces politiques sur la vie des quartiers. Mais un marché du logement non segmenté, où l'adaptation des individus aux changements sociologiques et économiques serait la règle, aurait aidé les personnes à s'adapter à ces évolutions. Alors qu'aujourd'hui, au contraire, nous trainons comme une cicatrice jamais refermée plus de deux millions et demi de logements de "cités" pas vraiment radieuses dans lesquels nous concentrons tant de problèmes que ceux-ci échappent totalement à notre contrôle, mais nous nous entêtons dans la folie du logement "social". Le même "modèle", reproduit partout, a permis la métastase de ses vices de conception.
- Or, les "grandes politiques publiques" sont plus que jamais omniprésentes dans notre quotidien: politique de la ville, du logement, développement à marche forcée des transports en commun, lutte contre le CO2 et "transition énergétique", lutte contre l'étalement urbain... Sur chacun de ces sujets, l'Etat reproduit les mêmes schémas de pensée: Décisions centralisées, étendues par force à toute la population. Et s'il est impossible de prévoir tous les effets pervers de ces "grands desseins" à très long terme, force est de constater qu'ils ont déjà commencé à nous coûter fort cher, en emplois détruits, en impôts augmentés, en dettes irremboursables, en bulles immobilières, et que sais-je encore.
Ce documentaire de 1962 est un témoignage involontaire et posthume de la fatuité et de la vanité des zélotes du dirigisme public. Hélas, aucune leçon des erreurs passées ne semble avoir été sérieusement apprise. Et l'on préfère mettre tous les problèmes de notre société sur le grand méchant marché...
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Post scriptum:
Cela n'a pas de rapport direct au premier abord, mais dans cet article, Nassim Taleb (the black swan) décrit les 5 règles qui régissent les économies non-fragiles, auxquelles je ne puis qu'adhérer sans réserve :
(1) Considérer l'économie comme un animal souple, adaptable et imprévisible, et non comme une machine aux rouages bien huilés.
(2) Favoriser les business models qui apprennent de leurs erreurs et non ceux qui les transmettent à toute la société.
(3) Ce qui est petit est beau ET efficient.
(4) On progresse mieux par essais et erreurs que par applications de grandes théories académiques.
(5) Ceux qui décident doivent jouer leur propre argent, leur propre peau, pas l'argent des autres.
Vous constaterez aisément que les grands plans urbains publics n'en respectaient aucune, pas plus que les grands desseins bureaucratiques qui sont apparus depuis.
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Précisons tout de même qu'on trouve de nombreux témoignages de gens qui ont emménagé à l'époque dans ces grands ensembles, et qui considéraient cela comme un privilège. Pour la première fois, ils disposaient d'appartements spacieux, modernes, lumineux, dotés de tout le confort. Ils en parlent encore aujourd'hui avec émotion et nostalgie.
Cela n'est pas un plaidoyer pour le logement "social" (c'est-à-dire socialiste). Mais il faut bien dire qu'une bonne part des maux attribués aujourd'hui au "bétonnage" et aux "barres" sont tout simplement dus à la population immigrée qui les occupe désormais, qui s'emploie à les salir, à les détruire et à y faire régner l'insécurité voire la terreur.
La preuve étant que les HLM récents qui sont exempts des erreurs architecturales de l'époque, qui ont abandonné le gigantisme, qui seraient des logements de haut de gamme s'ils étaient sur le marché libre, sont gangrenés par les mêmes problèmes que les autres.
Notons aussi que le tristement célèbre quartier de la Villeneuve, à Grenoble, était un rêve d'urbaniste vertueux : petits immeubles, appartements quasiment luxueux pour certains, débauche de commerces et "d'équipements collectifs", "mixité sociale" très poussée dès l'origine...
C'est devenu aujourd'hui une zone de non-droit aussi pourrie et dangereuse que les autres.
Le crime est causé par les criminels, pas par l'architecture. Les désordres sociaux sont créés par les asociaux.
Rédigé par : Robert Marchenoir | lundi 26 novembre 2012 à 13h21
@ Robert Marchenoir.
Le vice que vous décrivez était inscrit dans les gènes de l'intervention étatiques. N'oublions pas que ces logements "sociaux" ont été construit pour héberger les immigrés et que la gestion de ces grands ensemble locatif à été catastrophiques avec encore aujourd'hui des déficits abyssaux, des loyer impayés en grand nombres et du fait de la politiques restrictive du logement par l'état une raréfaction de l'offre qui fait que tous les pauvres se concentres dans ces logements.
Non l'état est entièrement responsable de cette situation parce qu'il là créée de toute pièces et l'a entretenu au fil du temps envers et contre tout, par idéologie crasse, par refus d’admettre avoir eu tord et parce que finalement cette situation est très profitable pour une nuée d'homme politique et de fonctionnaires qui sont comme les mouches sur la merde.
Rédigé par : laurent | dimanche 09 décembre 2012 à 18h11
"N'oublions pas que ces logements "sociaux" ont été construit pour héberger les immigrés."
Précisément, je ne crois pas que ce soit le cas. De nombreux Français ont habité ces logements quand ils sont sortis de terre pour la première fois, dans les années 1960 à 1970.
Quant aux logements sociaux de Paris intra-muros construits dans les années 1930 par le secteur privé, ils était destinés aux ouvriers français.
Par ailleurs, si l'Etat n'avait pas ouvert les frontières, les HLM seraient "seulement" affectés des vices de l'étatisme. Ils ne souffriraient pas, de surcroît, des vices de l'immigration.
Rédigé par : Robert Marchenoir | lundi 10 décembre 2012 à 17h13
La desserte des villes nouvelles constitue aussi un choix financier.
Ce jeudi 13/12 le ministre des transports vient d'être informé par un rapport qu'il faudra prévoir une augmentation de 45% pour le métro Grand-Paris, par rapport aux estimations remises à Sarkozy.
Vont-ils se foutre de nous pendant encore longtemps ?
Rédigé par : Régency | jeudi 13 décembre 2012 à 14h49
@Regency: merci pour cette info qui m'avait échappée !
http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/12/13/le-projet-de-metro-du-grand-paris-couterait-9-milliards-d-euros-de-plus_1805482_823448.html
Pourquoi un tel projet est il voué à déraper dans les grandes largeurs:
http://blog.turgot.org/index.php?post/Vicent-Metro-Paris-%282%29
Rédigé par : vincent | vendredi 14 décembre 2012 à 08h11
I’ll bookmark your blog and check again here regularly.
Rédigé par : teach argentina | mercredi 26 décembre 2012 à 11h04
Bonjour,
La vidéo n'est plus en ligne. Auriez-vous le titre pour que j'essaie de la retrouver ?
Merci d'avance
Rédigé par : culturealternative.fr | vendredi 01 février 2013 à 12h31
Hélas, je n'ai pas pris la précaution de le noter.Je vais tt de même essayer de la retrouver de mon côté.
Rédigé par : vincent | samedi 02 février 2013 à 09h12
J'ai eu un flash en voyant l'URL de la note: "le temps de l'urbanisme"
et une version se trouve ici:
http://www.youtube.com/watch?v=egVDY9R69Iw
je vais tacher de la sauvegarder et de l'uploader sur mon propre profil
Rédigé par : vincent | samedi 02 février 2013 à 09h20
Ca y'est, c'est corrigé. Merci à Culture Alternative pour votre vigilance.
Rédigé par : vincent | samedi 02 février 2013 à 13h47
Ne dit-on pas que l'Histoire est un éternel recommencement ?! Il en va de même apparemment pour la politique, domaine dans lequel chaque nouveau dirigeant doit faire ses propres erreurs sans prendre la peine d'apprendre de celles de ses prédécesseurs. Après tout, celui qui paye les pots cassés, n'est "que le peuple" !
Rédigé par : traduction anglais | samedi 16 février 2013 à 10h27