Pierre Leconte
2/3/2010
"Il n'y a pas actuellement, pour l'Occident, de tâche plus urgente que de reconnaître le danger qui menace
et, en y parant, de rétablir dans le monde libre un Système monétaire générateur d'équilibre et de durée" (Jacques Rueff).
La question de l'organisation du Système monétaire international (SMI) est depuis un certain temps placée au centre des débats dans les "milieux autorisés". Mais les gouvernements occidentaux ont fait et continuent de faire tout ce qu'ils peuvent pour l'enterrer, tant l'inéluctable réforme de ce Système recèle de conséquences dommageables, au demeurant tout à fait inévitables, pour eux.
Les récentes pressions des BRIC pour la création d'un nouveau mécanisme monétaire diminuant le rôle actuellement central du dollar et le risque d'éclatement de la zone euro vont dorénavant obliger ces gouvernements à se saisir directement du problème.
Sans oublier les défauts de paiement étatiques sur les dettes souveraines qui, après l'écroulement de la valeur des actifs toxiques titrisés ou structurés et la faillite réelle ou virtuelle des banques, sont déjà d'actualité. Etant donné que les Etats et les banques centrales en Occident, croyant pouvoir résoudre la crise par plus de laxisme monétaire et budgétaire encore, ont commis l'erreur de reprendre à leur compte ces actifs toxiques comme de s'endetter ou de créer de la monnaie gratuite sans limites, tant pour recapitaliser les banques que pour financer leurs plans dits de relance. Alors même que lesdéficits et endettements publics étaient déjà insupportables et que les actifs figurant aux bilans de ces banques centrales n'étaient déjà plus principalement constitués que de papier sans valeur. Défauts de paiement étatiques qui, immanquablement, provoqueront une crise systémique globale de nature à affecter structurellement le SMI, en particulier quant à la redéfinition de la place ou de l'importance relative de chacun de ses acteurs.
Les dirigeants de votre Association, en me faisant l'honneur de m'inviter aujourd'hui pour en parler devant vous, ont donc mis à l'ordre du jour un sujet crucial, tant au plan de la finance et de l'économie qu'au niveau géopolitique, dont on peut hélas craindre qu'il ne trouve plus de solution négociée satisfaisante compte tenu de l'état très avancé de délabrement dudit Système. Pour vous permettre de me situer, je suis un libéral dans la lignée de l'Ecole autrichienne d'économie donc opposé aux idées interventionnistes keynésiennes ou socialistes. Les huit livres que j'ai écrits vont tous dans le même sens.
J’ai divisé mon exposé en trois parties : 1/- un rappel historique, 2/- pourquoi le SMI actuel, producteur d’instabilité structurelle, est-il en voie d’effondrement? 3/- comment le SMI peut-il être réformé?
1/- Un rappel historique.
Tout au long de l’histoire jusqu’à la Première Guerre Mondiale en 1914, la monnaie a toujours été une marchandise ou gagée par une marchandise, en général un métal précieux. Ce qui a eu comme premier avantage d’assurer sur longue période sa quasi-parfaite stabilité tant interne (peu d’inflation) qu’externe (peu de fluctuations des monnaies nationales d’or entre elles) et donc la possibilité d’accumuler comme de transmettre la richesse acquise de générations en générations.
Par exemple, de 1803 à 1914 soit pendant 111 ans, en dépit de bouleversements politiques et économiques considérables, le franc-argent puis or dit Germinal n’a rigoureusement pas changé de valeur; son poids en métal précieux étant resté idetique et sa parité vis-à-vis de la livre sterling-or n’a pas non plus bougé.
Mais aussi, comme second avantage, d’empêcher les Etats et les agents économiques de recourir à un endettement excessif comme d’éviter tout déséquilibre massif de commerce extérieur entre les pays. Ce qui a favorisé la croissance économique interne par l'accumulation du capital et de l'épargne productives, mais aussi au plan international par le développement du commerce mondial en rendant alors le libre-échange mutuellement rentable pour la plupart des pays.
Certes, le pouvoir politique a toujours été tenté, dans l'histoire, de mettre la main sur la création monétaire. Mais il n'a jamais pu la contrôler vraiment dans la mesure où, chaque fois que le poids ou la teneur en métal précieux d'une monnaie donnée étaient falsifiés par un Etat déterminé, ses utilisateurs s'en détournaient immédiatement au profit d'une autre, étrangère, qui ne l'était pas. Les seules tentatives qui auraient pu réussir de contrôle politique de la monnaie, mais qui ont néanmoins rapidement tourné court parce que subsistaient encore ailleurs des monnaies métalliques, ont été celles de création de quasi-monnaies nationales de papier dotées du cours forcé (comme le Système de John Law sous la monarchie française dans les années 1716-1720 puis les assignats suite à la Révolution française de 1789).
A partir de la guerre de 1914, les Etats belligérants ont tous ensemble mis un terme à l’étalon-or qui, limitant la production de monnaie à une certaine proportion des stocks d’or détenus par eux, les empêchait de procéder à l’immense création monétaire ex nihilo qu’ils entendaient alors réaliser pour payer leurs dépenses militaires. Le développement des idées socialistes et keynésiennes conduisant à la création d’Etats-providence, dont la caractéristique est de distribuer les richesses avant de les créer, a aussi poussé à l’abandon de l’étalon-or puisque par définition il empêche les déficits budgétaires massifs. Sans compter la Révolution bolchevique en Russie qui, à partir de 1917, a mis au centre de son programme la destruction de la monnaie considérée comme une étape indispensable de la "société sans classe".
Ensuite, les Etats ont tenté de créer un système bâtard dans lequel le dollar et la livre sterling (conférence de Gênes en 1922), puis le dollar tout seul (conférence de Bretton Woods en 1944), sont restés plus ou moins convertibles en or jusqu’à ce que les USA, épuisés par les dépenses occasionnées par la guerre du Vietnam, décident unilatéralement en 1971 de supprimer la convertibilité du dollar en or (entre banques centrales). Enfin, à partir de 1973-1976, les monnaies nationales fiduciaires de papier dites Fiat Currencies, n’ayant plus aucun lien avec l’or finalement démonétisé, ont commencé à varier dans des proportions considérables dans le cadre des taux de change flottants.
Dès ce moment-là, de gigantesques pyramides de dettes publiques et privées ont pu être édifiées, puisque toute contrainte automatique de leur limitation avait disparu, en particulier en raison du mécanisme bancaire des "réserves fractionnaires". Et les Etats ont inauguré des politiques de "dévaluation compétitive" de leurs monnaies nationales par rapport à celles de leurs concurrents commerciaux. Enfin, les banques centrales ont commencé à fixer elles-mêmes les taux d'intérêt à court terme qui, auparavant, l'étaient par le marché libre, comme à produire, au rythme décidé par elles, la quantité de monnaie qu'elles jugeaient nécessaire.
Ce qui a évidemment provoqué une colossale inflation. Puisque l’or a vu sa valeur exploser de plus 3.000% passant de 35 dollars l’once (prix officiel) en 1971 à 850 en 1980 puis, après une rechute à 250 en 1999, à 1.100 aujourd’hui, au fur et à mesure que la valeur des monnaies fiduciaires de papier s’effondrait en relation avec les indices des prix à la consommation. Je vous rappelle qu’en Système de taux de change flottants, comme actuellement, chaque monnaie de papier, indépendamment de ses variations de change, pour un taux moyen annuel d’inflation de seulement 3%, perd la moitié de sa valeur (et donc de son pouvoir d’achat) tous les 16 ans!
2/- Pourquoi le SMI actuel, producteur d’instabilité structurelle, est-il en voie d’effondrement?
Des mécanismes incompatibles:
Au cours du dernier quart du XXe siècle, l’économie et la finance ont connu deux changements majeurs. Premièrement : l’avènement -comme nous l’avons vu- du Système des taux de change flottants avec tous les processus d’instabilité qui le caractérisent -en particulier le recours à toutes sortes d’instruments financiers de protection ou de spéculation basés sur des dettes- qui sont en cours d’explosion avec la crise des Subprime, CDO's ou autres CDS. Deuxièmement : la généralisation du libre-échange avec la mondialisation. Or, ces deux mécanismes sont à terme incompatibles!
Aujourd’hui, le dollar est la monnaie mondiale, ce qui permet aux USA en toutes circonstances (que leur monnaie monte ou baisse) de siphonner annuellement à leur seul profit 60% des liquidités internationales et d’encaisser des droits de seigneuriage considérables, provenant de l’utilisation du dollar comme monnaie privilégiée de placement et de facturation des matières premières ou des échanges internationaux. Comme de vivre constamment au dessus de leurs moyens avec l’argent des autres, du fait de leurs déficits exponentiels de tous ordres financés par leurs partenaires commerciaux, c'est-à-dire d’acheter les biens du monde avec du simple papier qu’il ne tient qu’à eux d’émettre en quantité qu’ils veulent. Un "privilège exorbitant" que le général de Gaulle avait déjà stigmatisé lors de sa fameuse conférence de presse du 4 février 1965.
Quant à l’euro, il ne pourra pas se substituer au dollar au plan mondial. D'abord, parce que, création de nature politique pour accélérer l’intégration européenne, il est structurellement inadapté à l’euroland qui n’est pas une zone monétaire optimale dans laquelle puisse subsister longtemps une monnaie unique, dotée d’un taux d’intérêt identique pour tous les pays, utilisée par 16 Etats dont les divergences économiques et d’endettement s’accentuent. Ensuite, parce qu'il apporte à l'euroland plus de chômage et moins de croissance économique qu’ailleurs par suite de sa surévaluation relative, dans un contexte de concurrence monétaire internationale exacerbée, ayant des effets destructeurs sur la compétitivité intérieure et extérieure de la zone. Enfin, du fait de l’insuffisance de sa production puisque l’euroland, n’étant pas globalement en situation de déficit de commerce extérieur et donc de paiements, n’offre pas assez d’euros -en particulier sous forme d'émissions d'obligations d'Etat- pour satisfaire la demande internationale affectant une monnaie de réserve. Substitution qui, même si elle était possible, ne permettrait pas d’échapper à l’instabilité monétaire internationale, mais seulement de la déplacer de l’« étalon-dollar » actuel à un « étalon-euro » affecté d'autant de défauts que le précédent.
Le Système des taux de change flottants est présenté comme un mécanisme de souplesse et d’adaptation, permettant d’aboutir à la valeur réelle des monnaies dans la stabilité générale. Alors que les taux de change flottants entraînent des variations considérables de parités, d’origine spéculative ou imposées par des banques centrales monopolistiques aux fins de dumping commercial, entre des monnaies constamment éloignées de leur valeur d’équilibre. Tout en provoquant -comme nous l’avons vu- la chute permanente de leur pouvoir d’achat, puisqu’elles ne sont plus basées sur un étalon de référence stable en valeur. Sans compter l’instabilité économique, par suite de la succession de chocs provoqués par les crises boursières et financières successives d’origine purement monétaire.
Sans oublier le caractère très inégalitaire de ces taux de change flottants, supposés diffuser la prospérité dans le monde alors qu’ils ne créent que de nouvelles inégalités et tensions. Je vous rappelle que 4,5%, dont la moitié sont des Américains, de la population mondiale détient la totalité de la richesse boursière de la planète et que l’inflation des actifs financiers et immobiliers au détriment des salaires est sciemment organisée par les banques centrales, alors que la moitié de la population du monde (soit près de 3 milliards de personnes) vit aujourd’hui avec moins de 2 dollars par jour. Et que, selon le dernier rapport de la Banque mondiale, depuis 50 ans, les inégalités à l’intérieur des pays mais aussi entre eux, n’ont pas cessé de se creuser partout.
L’impossible gestion étatique de la monnaie:
Les Etats ayant nationalisé la monnaie pour en confier la production aux banques centrales monopolistiques, il n’y a pas à s’étonner, du fait même de ce dirigisme, que cette production soit si mal effectuée. Puisque les banques centrales n’ont aucun moyen scientifique de déterminer la quantité et le prix de la monnaie dont une économie a besoin, alors que c’est ce qu’elles ont la prétention de faire en permanence. Et qu’elles ne créent que des encaisses nominales, alors que les acteurs économiques ne désirent que des encaisses réelles qu’ils sont d’ailleurs in fine les seuls à pouvoir créer puisque ce sont eux qui produisent les richesses. A contrario, s’il suffisait qu’une banque centrale crée de la monnaie pour augmenter la richesse, il n’y aurait plus aucun pays pauvre dans le monde et le Zimbabwe serait le plus riche!
Comme l’écrivait déjà Montesquieu, "rien ne devrait être plus stable que ce qui sert de mesure à toute chose"! Un Système monétaire est d’abord un système de mesure (comme le système métrique par exemple). S’en remettre pour définir une "valeur" à une action d’autorités monétaires, mêmes supposées indépendantes, revient à ne rien définir du tout. Aucune organisation monétaire, si judicieuse soit-elle, ne réussira si elle n’est pas dotée d’un étalon de référence immuable, indépendant du temps et du lieu (comme le mètre). Autrefois, le billet mentionnait de quoi il était une créance: d’un poids d’or. Cela signifiait quelque chose. Mais, aujourd’hui, le billet n’est plus une créance que… d’autres billets! La définition monétaire n’est plus que du vide reposant sur du néant. Des trois rôles reconnus traditionnellement à la monnaie: étalon de mesure, réserve de valeur et médium d’échange, seul ce dernier est encore assuré par la monnaie de papier dans l’instabilité chronique, qu’il s’agisse du dollar, de l’euro ou des autres.
Comme le remarquait Raymond Aron, "lorsque la monnaie cesse d’être un bien réel, elle devient un bon d’achat peu discernable du crédit". D’où les immenses dérapages actuels tant en matière de crédit que de création monétaire extravagante à l’origine de toutes les bulles boursières et immobilières et de l’allocation erronée des actifs. C’est dans ce sens que Ludwig von Mises a pu dire que "les crises économiques sont provoquées par les politiques monétaires expansionnistes des banques centrales".
En outre, aucun SMI ne fonctionnera convenablement tant qu’il utilisera comme monnaie mondiale une monnaie nationale (le dollar US), nécessairement soumise à toutes les vicissitudes d’une politique et d’une économie nationales (celles des USA). La volatilité de la monnaie américaine répand le désordre dans les relations financières entre Etats, le commerce international et les patrimoines privés. A l’intérieur de ces Etats, elle compromet les efforts de régulation tentés par les autorités nationales sur leurs propres monnaies. A l’extérieur, elle provoque l'instabilité des taux de change.
L’autre défaut du SMI asymétrique actuel, c’est qu’il transfère mécaniquement la masse de dollars créés par les Etats-Unis ou résultant de leurs déficits aux pays dont les balances commerciales et de paiements sont excédentaires, c’est-à-dire pour l’essentiel la Chine, le Japon et autres pays du Sud-Est asiatique, d'Amérique du Sud ou producteurs de pétrole qui détiennent déjà 70% des réserves de change mondiales, mais jusqu’ici sans la moindre conséquence pour les USA puisque l’essentiel de ces liquidités leur revient aux fins de placement chez eux. Ce sont "les déficits sans pleurs" dont parlait Jacques Rueff.
Que se passera-t-il lorsque les Etats asiatiques ou producteurs de pétrole détiendront la quasi totalité de ces réserves et qu’ils décideront, du fait d’un retour en force de l’inflation, de ne plus les placer en bons du Trésor américain libellés en dollars faiblement rémunérés comme ils le font encore actuellement; mais d’en investir par exemple l’essentiel en or ou d’autres actifs plus rémunérateurs ainsi que leurs "fonds souverains" ont déjà commencé à le faire? Compte tenu de l’ambition impériale de la Chine, il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle ait vis-à-vis des USA la docilité pour ne pas dire la soumission dont l’Europe et le Japon font preuve à leur égard. Les USA, dont la première industrie est la production de dettes, devront alors cesser de consommer pour diminuer drastiquement leurs déficits intérieurs et extérieurs avec le risque que cela conduise à une récession mondiale!
De la destruction successive de toutes les monnaies nationales fiduciaires de papier les unes après les autres:
Si rien n’est entrepris dans le sens de la définition d’un nouveau SMI cohérent, symétrique et impartial, ce seront toutes les monnaies nationales fiduciaires de papier -le dollar comme l’euro- qui seront successivement détruites, avec les crises politico-économiques répétées que l’on peut imaginer. Quant à l’idée de procéder à la fusion du dollar et de l’euro dans une sorte d' "euro-dollar" qui agite actuellement certains esprits; outre son irréalisme, une telle construction ne conduirait qu’à la fuite généralisée des détenteurs de capitaux vers les actifs réels et à un gigantesque Credit Crunch.
De toutes façons, le pouvoir des banques centrales -qui est déjà le plus dérisoire qu’il soit- est, pour trois raisons techniques principales, rapidement destiné à disparaître. La première, c’est l’érosion de la demande de monnaie scripturale qu’elles produisent, par suite de l’utilisation toujours croissante des cartes de crédit puis des cartes à mémoire aux montants prépayés. La deuxième, c’est la prolifération du crédit non bancaire, par suite de la titrisation, sur laquelle les banques centrales n’ont aucune prise. La troisième, c’est le recours croissant aux mécanismes privés de compensation, tels que le système CHIPS, qui diminuera le rôle des banques centrales en supprimant l’actuelle obligation pour les banques privées de déposer auprès des instituts publics d’émission les réserves nécessaires au règlement des opérations interbancaires.
Le libre-échange mondialisé ne peut fonctionner qu’à la condition qu’il ne soit pas faussé par des monnaies nationales en permanence manipulées par un ou plusieurs Etats. Ou bien par des agents économiques dominants spéculant en permanence sur des montants colossalement supérieurs aux flux financiers dont l’économie mondiale a effectivement besoin. Pour y parvenir, comme nous allons le voir, il n’est évidemment pas question de créer artificiellement une seule monnaie fiduciaire mondiale de papier, qui serait administrée par le Fonds monétaire international ou autre organisme monopolistique, avec toutes les conséquences hyper-inflationnistes qui en résulteraient. Mais de baser les principales monnaies sur le même étalon le plus stable possible, reconnu et accepté par les principaux pays, qui seraient dorénavant émises seulement en fonction de la demande de leurs utilisateurs comme l'étaient les monnaies gagées sur l'or.
3/- Comment le SMI peut-il être réformé?
Les solutions libérales:
Pour stopper ces dérives, il n’y a que deux solutions:
1/ soit revenir au plan international aux taux de change fixes basés sur l’étalon-or -voire le bimétallisme- qui empêchent toute manipulation monétaire, puisque la valeur-or de chaque monnaie est par définition constante et que "l’or est le seul actif en face duquel il n’y a aucun passif ", comme le proposaient Ludwig von Mises, Charles de Gaulle et Jacques Rueff et comme le préconise actuellement le prix Nobel d’économie canadien Robert Mundell ;
2/ soit instaurer la liberté de création monétaire -par la suppression du cours forcé des monnaies étatiques- permettant à tout agent économique présentant les garanties suffisantes de créer sa propre monnaie, ce qui conduirait à une concurrence des instruments monétaires entre eux offrant à leurs utilisateurs le choix d’adopter celui qu’ils sélectionneraient comme étant le meilleur pour eux. Ainsi que le suggérait le prix Nobel d’économie d’origine autrichienne Friedrich von Hayek qui disait : "nous n’aurons pas de monnaie honnête tant que d’autres que les gouvernements en fonction n’auront pas le droit d’en proposer de meilleure que celle de leur fabrication" et comme le préconisent de nos jours l’économiste français Pascal Salin et la plupart des vrais libéraux.
Dans les deux solutions structurelles ci-dessus envisagées, qui ne sont d’ailleurs pas exclusives l’une de l’autre puisque de nouvelles monnaies privées seraient généralement gagées par l’or ou d'autres actifs réels, les banques centrales devenues inutiles disparaîtraient progressivement et avec elles le dirigisme monétaire étatique de création récente mais qui a déjà fait tant de mal.
L'impasse répétée des politiques keynésiennes:
Toutes autres actions conjoncturelles relevant du bricolage, comme la création massive de liquidités artificielles ex nihilo ou la baisse à zéro des taux d’intérêt à court terme par les banques centrales, ne permettront que de gagner un peu de temps, tout en mettant en place les bases des prochaines crises financières et boursières. A cet égard, si Alan Greenspan n’avait pas fixé en juin 2003 à 1% le taux d’intérêt à court terme sur le dollar qu’il a maintenu à ce niveau pendant près d’un an, ce qui revenait à une distribution gratuite d’argent puisque ce taux était alors très inférieur à l’inflation; il n’y aurait pas eu la crise des Subprime et des dérivés de crédit que nous connaissons depuis plus de deux ans, parce que les emprunteurs immobiliers américains et l’ensemble des banques internationales n’auraient pas pu se livrer à une orgie de dettes impossibles à rembourser aujourd’hui.
Quant à "relancer" les économies des pays occidentaux (USA, Europe, Japon) par la dépense publique massive, selon la vulgate keynésienne, alors que leurs déficits budgétaires et leurs endettements publics sont déjà intenables -comme le montre la situation de la Grèce et d'autres pays du Sud de l'Europe mais aussi de la Grande-Bretagne, des USA eux-mêmes et de plusieurs Etats américains comme la Californie-, cela revient à leur administrer stupidement une dose massive du mal qui les a déjà rongé. Avec bientôt à la clef une hausse des taux d’intérêt dans ces pays puis américains, à moyen et long terme, que la Federal Reserve ne pourra pas toujours manipuler, c'est-à-dire un effondrement des US Treasury Bills et Bonds. Ces derniers constituant le sous-jacent de toutes les monnaies de papier puisqu'ils forment l'essentiel des réserves de change des banques centrales de la planète, on imagine aisément l'effet domino qui en résultera!
Ben Bernanke, l’actuel patron de la Fed, avant de prendre son mandat avait déclaré que, s’il avait à faire face à une crise financière, il n’hésiterait pas "à jeter des tonnes de dollars par hélicoptère sur les villes américaines", d’où son surnom d’"hélico-Bernanke". C’est ce qu'il est en train de faire, imité en cela par le gouverneur de la Banque d'Angleterre Mervin King, en particulier via la monétisation à un niveau colossal des dettes publiques et privées. Une méthode qui a conduit à l'hyper-inflation au début des années 1920 en Allemagne, ayant ensuite provoqué l'effondrement de la République de Weimar et la montée du nazisme.
Cette politique échouera, comme a échoué la même tentative menée à un moindre degré au Japon depuis les années 1990, puisque les plans dits de relance à base d'inondation monétaire -que Jacques Rueff qualifiait avec dérision de "plans d'irrigation après le déluge"-, après une courte embellie, ont toujours mal fini. Tout simplement parce la création monétaire ex nihilo et la dépense publique ne peuvent en aucun cas produire de croissance économique[1], d'autant que le chômage explose et que la consommation s'effondre. Alors qu'il faut au contraire assainir l'excès précédent du crédit, en diminuant la dépense publique et en laissant s'exercer à l'égard des banques zombies ce que Joseph Schumpeter appelait "la destruction créatrice". Tout en offrant un filet social et financier aux chômeurs comme aux exclus pour qu'ils ne sombrent pas et que la société garde sa cohésion jusqu'à ce que l'assainissement se termine et qu'ils retrouvent des emplois. Ce n'est, incidemment, pas le New Deal de Franklin Roosevelt qui a mis un terme à la grande crise des années 1930 aux USA mais la mobilisation des millions de chômeurs américains sous les drapeaux, suite à l'entrée en guerre de ce pays après décembre 1941. Idem en Europe, un peu avant, avec l'embrigadement des chômeurs par les régimes nazi allemand et fasciste italien dont les politiques keynésiennes avaient échoué. Attention: le chômage de masse, pur produit des manipulations monétaires des Etats, se termine toujours mal!
Je vous signale que, depuis plus deux ans, Etats et banques centrales ont injecté -en réalité gaspillé- la somme colossale de 20.000 milliards de dollars -soit créée ex nihilo, soit empruntée- dans les plans dits de relance et l'aide des banques zombies sans parvenir à créer une véritable croissance auto-entretenue, puisque ces banques ne prêtent plus et que les consommateurs ou les entreprises n'empruntent plus. L'essentiel de cet argent est pour le moment allé dans une "trappe à liquidités" dont il ne sortira que lorsque la confiance sera revenue, le solde s'étant déversé dans les marchés boursiers et obligataires dont la surévaluation se terminera inévitablement par un nouveau krach.
Là-encore, la création à l’infini par les banques centrales de bulles successives sur la plupart des actifs, comme moyen temporaire d’échapper aux dures contraintes de l’économie réelle par la production de pouvoir d’achat nominal sans cause, a depuis longtemps atteint ses limites. Et l’on conviendra, avec Ludwig von Mises, qu’"il faudra bien que l’on comprenne finalement que les tentatives d’abaisser artificiellement, par l’extension du crédit, le taux d’intérêt qui se forme librement sur le marché ne peuvent aboutir qu’à des résultats provisoires et que la reprise des affaires, qui intervient au début, sera forcément suivie d’une rechute plus profonde, laquelle se traduira par une stagnation complète de l’activité industrielle et commerciale". Avec, en prime, l’effondrement des monnaies en cause.
Il faut comprendre ce que disent les acteurs des marchés:
Ce n’est pas la réunion d’une grande conférence monétaire internationale qui changera le SMI, mais ce sont les acteurs du marché qui le feront. Que nous disent actuellement ces acteurs? On ne veut plus du dollar ni de l'euro et l’on veut replacer l’or au centre du Système. George Soros a récemment déclaré: "La crise actuelle marque la fin d’une période d’expansion du crédit basée sur le dollar jouant le rôle de monnaie de réserve internationale". Quant à l'euro, finalement plombé par ses déficiences structurelles et le non respect de ses règles de fonctionnement par les pays qui l'ont adopté, il est en train de perdre sa crédibilité.
D'où l'attaque spéculative dont il fait actuellement l'objet par le même Soros, et autres dirigeants de hedge funds anglo-saxons, qui veulent parait-il le ramener à parité avec le dollar, ce qui parait excessif. Avec la bienveillance des autorités américaines et anglaises, redoutant qu'une poursuite de la baisse du dollar et de la livre sterling les empêchent de placer la quantité colossale d'obligations d'Etat qu'elles doivent vendre aux investisseurs. Autorités qui, en outre, ne sont pas mécontentes de voir l'euro perdre de sa superbe. Si la BCE et l'Allemagne réussissent à éviter que les dettes souveraines des pays du "Club Med" polluent toute la zone euro comme à rétablir rapidement en son sein une stricte discipline, par exemple en organisant la sortie des pays incapables de s'y plier; la monnaie unique européenne remontera ensuite contre le dollar aussi vite qu'elle a baissé. Sinon, elle rejoindra le cimetière des monnaies de papier dont je vous rappelle qu'elles ont toutes, sans exception, successivement disparu dans l'histoire!
C’est à l’évidence dans une nouvelle configuration de la "guerre des monnaies" que le monde est entré, dont les conséquences économiques, financières et géopolitiques seront immenses. Plutôt que de nier la réalité, il faut s’y préparer. On remarquera, à ce propos, la quasi-absence de toute recherche organisée dans le domaine des nouvelles monnaies à créer, alors que des centaines d’économistes et de banques dans le monde travaillent à l’élaboration de produits financiers de plus en plus inadaptés et risqués.
L'ordre financier ou l'esclavage:
Pour conclure, je citerai Jacques Rueff qui avait coutume de dire "Le destin de l'homme se joue sur la monnaie. Exigez l’ordre financier ou acceptez l’esclavage"! Ne vous y trompez pas, c’est exactement ce qui est en jeu aujourd’hui encore plus qu’hier. Parce que sans une monnaie stable, protégée contre la manipulation étatique et/ou la spéculation privée, gardant son pouvoir d’achat le plus longtemps possible; il ne peut pas y avoir de croissance économique durable harmonieusement partagée entre les pays, les entreprises et les individus qui en sont les auteurs, ni de "mondialisation heureuse" non conflictuelle. Alors même que tout cela est à portée de main, et qu’il suffirait que les responsables politiques l’admettent, pour éviter aussi que les "guerres des monnaies" se transforment finalement en guerres tout court!
Comme les dirigeants des principaux Etats n'accepteront vraisemblablement pas de casser tout lien entre le pouvoir politique et la création monétaire, ce qui équivaudrait pour eux à se priver de la plupart de leurs moyens d'intervenir dans l'économie, qu'ils croient stupidement encore être en mesure de diriger alors qu'ils se sont révélés incapables de gérer correctement les finances publiques; il n' y a pas lieu d'être optimiste quant à la suite des évènements. L'humoriste George Bernard Shaw écrivait : "vous devez choisir entre mettre votre confiance dans la stabilité naturelle de l'or ou bien dans l'honnêteté et l'intelligence des membres du gouvernement. Sauf le respect dû à ces parfaits gentlemen, je vous conseille de voter pour l'or". C'est aussi mon humble avis.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention et je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.
Pierre Leconte préside le Forum monétaire de Genève pour la paix et le développement
[1] Une étude récente de deux universitaires US, Kenneth Rogoff et Carmen Reinhardt, dont Le Monde a fait état dans son édition des 7-8 février 2010 (article de Pierre-Antoine Delhommais intitulé "De la dette à la lune"), a prouvé -après beaucoup d'autres- que tout endettement d'un Etat supérieur à 90% de son PIB -ce qui est le cas de presque tous les pays occidentaux- produit des effets catastrophiques sur sa croissance économique.
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