Vacances - "Vieux" articles remis en tête de gondole - Mon interview de Wendell Cox (photo) ne figurait jusqu'ici dans sa version française que sur "crise publique", mon second blog en déshérence, dont le trafic n'a jamais vraiment décollé.
Je la republie donc sur Ob'Lib' pour lui redonner un peu de visibilité. Interview réalisée en mars 2008. A l'époque, on parlait encore de "crise des subprimes".
( nb. there's already an english version of this interview on this blog)
Vincent - Wendell, pouvez vous vous présenter en quelques mots ?
Wendell Cox - Je suis un consultant en
transports et aménagement de l'espace, qui défend généralement des
solutions de marché aux problèmes de développement des usages du sol. Je
me définis comme libéral, au sens européen du mot. Je suis heureux de
revenir en France chaque année, car je puis m'y présenter sous le
vocable de "libéral", alors que ce mot a été confisqué par la gauche
américaine depuis les années 30 ! Je suis libéral non par engagement
philosophique envers une façon de penser, mais parce que je crois
passionnément à ce qui maximise la richesse et minimise la pauvreté. Si
le communisme y parvenait, je serais communiste ! Mon intérêt réside
dans les objectifs à atteindre et non dans les moyens.
(nd VB. son site de données - son blog)
Vous publiez depuis 4 ans un rapport annuel sur
l'accessibilité financière du logement dans plusieurs pays anglo saxons,
plus le Canada francophone. L'accessibilité du logement est elle
devenue un problème si important aujourd'hui ?
C'est le problème économique le plus grave de notre époque. Le
logement, dans la plupart des pays occidentaux, est le premier poste de
dépense des ménages. Il représente le principal actif au sein des
patrimoines. La valeur totale des logements aux USA peut être estimée à
20 mille milliards de dollars (dont environ 7 mille milliards de surévaluation artificielles
liées aux politiques de restriction foncière), valeur qui peut en
grande partie être convertie en capacité d'emprunt. Si le marché du
logement fonctionne mal, cela peut conduire à d'importants désordres
économiques.
Peut on dire, aujourd'hui, que nous vivons une de ces périodes de désordre ?
Pour le dire simplement, la grande crise du crédit à laquelle nous
faisons face est la conséquence directe de l'inflation récente des prix
de l'immobilier qui s'est produite dans les endroits où ont été
promulguées des politiques de "croissance urbaine maîtrisée" (smart growth* - Politiques anti étalement urbain)
lors de ces trente dernières années. Les hausses artificielles des prix
de l'immobilier, provoquées par des restrictions excessives du foncier
constructible, ont donné de mauvais signaux à la fois aux emprunteurs et
aux prêteurs, lesquels ont conduit à des décisions d'investissement mal
fondées, tant d'acheteurs de maisons insuffisamment conscients des
risques, que de grands établissements de crédit.
Voulez vous dire que la crise des subprimes est en fait une
crise de la planification du sol ? C'est une explication peu commune,
surtout en France...
Pour être juste, disons que la croissance planifiée est l'une des
causes de la crise actuelle, et un mauvais fonctionnement du système de
crédit en est une seconde. Mais il n'y a aucune discussion sur le fait
que les politiques de restriction foncière ont été, de loin, le facteur
le plus influent. Laissez moi détailler mon propos.
Du côté du marché financier, nous avons, aux USA, un système où la
banque, souvent, ne négocie pas directement le crédit avec l'emprunteur.
Les emprunts sont souvent négociés par l'intermédiaire de courtiers,
qui ont intérêt à conclure le plus de deals possibles, parfois même en
encourageant les emprunteurs à donner de fausses informations sur leur
capacité de remboursement.
De l'autre côté, les banques ont développé depuis le début du nouveau
millénaire de nouvelles techniques de titrisation des dettes, connues
sous le nom de "CDO", "collateralized Debt Obligations". Ainsi, les
banques ont totalement déconnecté l'aspect financier du crédit
immobilier de la transaction réellement conclue à l'origine. Même si le
taux de défaillance des crédits prime et subprime n'est pas encore si
élevé, le fait est que les banques sont devenues incapable de localiser
précisément les tranches les plus risquées des CDO qu'elles détiennent.
Ceci a conduit à une très mauvaise évaluation du risque sous tendu par
de nombreux prêts.
En France, les banques négocient directement les prêts avec
l'emprunteur, et ont de par la loi une "obligation de conseil", qui leur
impute une responsabilité si elles délivrent des prêts "visiblement
déraisonnables". Pensez vous qu'une telle réglementation aurait pu
éviter le marasme actuel aux USA ?
Je suis fermement libéral, mais je ne crois pas à un monde sans
aucune réglementation. Celle ci doit être écrite avec soin, car le
diable est dans les détails, mais toute réglementation qui permet de
clarifier les responsabilités lorsqu'un problème postérieur à la
transaction apparaît, est bonne, sous réserve qu'elle ne devienne pas
une usine à gaz, et ne donne pas trop de pouvoir aux bureaucraties en
charge de la régulation. Les règles qui régissent actuellement le
système bancaire sont envahissantes, mais clairement, elles ne
fonctionnent pas. Elles doivent être récrites en vue d'obtenir plus de
responsabilité, des prêteurs comme des emprunteurs. En ce sens, pour une
fois, la réglementation française paraît intéressante.
Arrivons en à la "crise de la croissance planifiée". Comment,
selon vous, les politiques de limitation de l'expansion urbaine
ont-elle favorisé l'éclatement de la bulle actuelle ?
Les données que nous avons agrégées au sein du rapport "Demographia" (pdf)
montrent sans ambiguïté que la bulle immobilière actuelle ne s'est
formée que dans les aires urbaines qui se sont dotées de politiques
restrictives d'usage des sols en vue de construire de nouvelles
habitations, la plupart de ces politiques étant connues sous le nom de "smart growth",
traduisible par croissance maîtrisée ou croissance planifiée. Quand la
demande pour de nouvelles maisons était faible, au milieu des années 90,
les prix de ces aires urbaines se situaient seulement légèrement au
dessus de ceux au sein d'agglomérations où les politiques d'affectation
des sols sont plus libérales.
Mais les données chiffrées basées sur le ratio entre les revenus
médians des ménages et le niveau des transactions médianes dans le
logement au sein d'une même conurbation, montrent quelque chose que bien
peu d'observateurs rapportent: 10 ans après, alors que la demande a
explosé, du fait de la chute des taux d'intérêt, les prix du logement
ont connu une forte inflation seulement dans les endroits où les
restrictions d'usage du sol sont les plus fortes. Les agglomérations
dotées de règlements d'occupation des sols plus libres ont été largement
épargnées par cette poussée des prix, même si elles ont connu une
expansion démographique très forte, comme Houston, Dallas-Fort-Worth ou
Atlanta. En fait, ces villes sont restées très dynamiques grâce à leur
capacité à mettre à disposition du terrain bon marché aux nouveaux
arrivants, et ce même sous très forte pression démographique.
Il est souvent affirmé que l'inflation immobilière est causée par la
demande, elle même boostée par la hausse des taux d'intérêts et des
pratiques de crédit déraisonnables --- Ce n'est pas exact. Ces mêmes
conditions ont été rencontrées sur tout le territoire américain, mais la
forte hausse des prix n'a été observée que là où il y a de fortes
réglementations visant à la "croissance urbaine maîtrisée". En réalité,
les trois métropoles de plus de 5 millions d'habitants du monde
développé qui voient leur population croître le plus vite --- Atlanta,
Houston et DFW --- ont un droit des sols libéral et ont, de ce fait,
échappé à la bulle.
Dans un marché atomisé comme le marché immobilier, aucun spéculateur
ne peut à lui seul "créer la tendance". Les signaux envoyés par
l'augmentation initiale des prix, là où elle s'est produite, ont été
très largement mal interprétés par les acheteurs et les prêteurs, parce
qu'ils n'ont vu que le côté lié à la demande de la nouvelle donne sur
les prix, mais n'ont pas réalisé que les prix n'augmentaient pas
uniquement à cause de l'augmentation de la demande, mais de sa
combinaison avec l'étranglement législatif de l'offre de logements en
certains endroits.
Si chaque agglomération américaine avait eu un type de droit des sols
tels que généralement pratiqué avant l'émergence des politiques de
"croissance urbaine maîtrisée", le signal initial indiquant une hausse
vertigineuse des prix n'aurait pas été envoyé à tous ces gens, et nous
ne connaîtrions pas la crise actuelle, en tout cas pas au même niveau.
Certains pourraient vous objecter que la crise du subprime
s'est également produite au Texas, même si c'est en de moindres
proportions qu'en Californie.
C'est juste. Mais cela n'a pas affecté le même profil d'emprunteurs,
et pas à la même échelle. Au Texas, les mauvaises pratiques en terme de
crédit ont mis en désarroi des familles pauvres qui voulaient leur part
de rêve américain en achetant des maisons low cost, et peut être des
investisseurs peu avertis qui ont pensé que les prix à Houston
finiraient par suivre la même courbe folle que dans les marchés au sol
planifié. En Californie, tout comme en Géorgie ou au Texas, et dans la
plus grande part du pays, la demande a augmenté, mais contrairement aux
régions sans croissance planifiée, le système de planification n'a pas
pu s'adapter à la hausse de la demande, et ainsi l'offre s'est retrouvée
étranglée. De fait, les prix du logement ont doublé, voire triplé, en
regard du revenu des ménages. Cela a rendu la crise bien plus coûteuse.
Ces idées sont elles largement admises aux USA ? Les gens de
Washington comprennent-ils la nature de ce qui se passe actuellement ?
Ces idées gagnent en soutien, du fait que les données qui les
alimentent sont de plus en plus facilement accessibles. Des personnes
comme Ed Glaeser, un éminent chercheur de Harvard, Randall O'Toole ou Sam Staley,
des économistes libéraux, partagent le même diagnostic. Des banquiers
centraux, comme Kate Barker, une économiste du comité de politique
monétaire de la banque centrale d'Angleterre, Donald Brash, ancien
gouverneur de la banque centrale de Nouvelle Zélande, ou Ian McFarlane,
son ancien alter ego d'Australie, ont exprimé des opinions similaires.
Mme Barker a été mandatée par le gouvernement travailliste pour
expertiser le marché du logement et le droit du sol du Royaume Uni, et
son rapport a été très critique de la réglementation actuelle des sols, à
laquelle elle attribue la plus grande part de l'inaccessibilité
financière actuelle du logement. A l'appui de cette idée, notons que
l'économiste de gauche Paul Krugman, de l'université de Princeton et du New York Times, est en pointe parmi ceux qui soulignent cette difficulté.
Bien sûr, les professionnels de la planification urbaine n'aiment pas
l'idée que les lois qu'ils défendent sont la cause de la plus grande
part des désordres auxquels nous faisons face, aussi résistent ils à mon
discours. De plus, je suis convaincu que les membres du conseil de la
réserve fédérale, avec mention particulière à son président Ben
Bernanke, n'ont pas une vision claire de ce qui est en train de se
passer. C'est également vrai de la plupart des économistes des affaires,
qui sont tout à fait capables d'analyses macro-économiques, mais qui
sont infichus de comprendre (comme le fait très bien Paul Krugman) que
les USA ont un marché immobilier à deux vitesses.
Si nous mettons de côté les explications de type "école des
choix publics" et fondées sur les intérêts particuliers des uns et des
autres, les partisans de la planification affirment généralement que ces
règles évitent l'étalement urbain (en Anglais, sprawl**) , considéré comme la pire des façons d'utiliser les sols. Quelle est votre opinion sur l'étalement urbain ?
Tout d'abord, "étalement urbain" est un terme dont la connotation est
devenue péjorative. Pour paraphraser l'ancien dirigeant chinois Deng,
tout ce que les urbanistes planificateurs n'aiment pas est qualifié
"d'étalement urbain". J'en ai entendu qualifier le développement des
deux aires urbaines les plus denses du monde, Hong Kong et Bombay,
d'étalement urbain. L'étalement urbain n'est rien d'autre que
l'expansion naturelle des banlieues. Le mode de vie confortable dont
profitent une majorité d'Européens, d'Américains, de Canadiens, de
Japonais, et bien d'autres, fait l'admiration du reste du monde et ne
mérite pas d'être catalogué comme une malédiction intrinsèque. Mais
peut-être, qu'avec le déclin des religions, beaucoup de nos urbanistes «
planistes » ont besoin de s'accrocher à quelque chose dans lequel
croire. La plupart des arguments contre les agglomérations étalées sont
purement idéologiques et ne sont pas corroborées par les faits, par des
données réelles.
Les "anti-étalement" affirment généralement que l'étalement consomme
des ressources, c'est à dire qu'il attribuent une valeur moindre à la
consommation d'espace par la ville qu'à celle opérée par l'agriculture
ou les espaces forestiers. Mais les les véritables chiffres ne vérifient
pas cette assertion. En Europe, les étendues dédiées à l'agriculture
ont décliné de 50% de plus dans les 30 dernières années que la totalité
des aires urbaines d'Europe telles qu'elles se sont étendues depuis la
nuit des temps. et pourtant, la production agricole n'a pas cessé de
s'améliorer. Les chiffres montrent le même phénomène aux USA, au
Canada, en Australie, en Nouvelle Zélande, au Japon. Cela a bénéficié
aux étendues forestières. Cela montre que l'expansion urbaine ne se fait
certainement pas au détriment de l'agriculture.
Les partisans de la planification urbaine affirment que
l'étalement urbain accroit la congestion routière. Que répondez vous à
cela ?
Ils affirment que l'étalement urbain augmentent la congestion, et
ainsi se font les promoteurs d'un mode de développement plus compact,
plus dense, des agglomérations. Une fois encore, ils ont tort,
totalement tort ! Les statistiques disponibles sur les temps de parcours
de porte à porte pour les voyageurs pendulaires*** montrent
que le temps de trajet moyen est de 25 à 30 minutes dans des
agglomérations "étalées" comme Dallas-Fort Worth ou Houston. Ces durées
sont en général inférieures à ce qu'elles sont dans des aires plus
denses de population comparable. Je viens juste de publier une
comparaison des agglomérations de Sydney et de Dallas-FW. Elles avaient
la même population en 1980. Depuis, la croissance démographique de
Sydney a été trois fois plus lente que celle de Dallas, dont la
population a plus que doublé. Malgré tout, les temps de parcours moyens
A/R sont de 54' à DFW et 64' à Sydney, et ce malgré les lourdes
restrictions d'usage des sols en vigueur à Sydney, la plus forte densité
de Sydney (deux fois plus importante qu'à Dallas), et les efforts
onéreux, et grandement inefficaces de Sydney pour promouvoir les
transports collectifs.
Hong Kong, pour des raisons historiques, est l'aire urbaine la plus
dense du monde. La cité a développé ce qui est peut être le plus réussi
des systèmes de transports publics. Malgré cela, le temps de trajet
pendulaire A/R approche les 100 minutes quotidiennes. Clairement, les
données réelles nous apprennent que les hautes densités ne réduisent pas
la congestion. Au contraire, les hautes densités l'intensifient --- ce
qui a pour conséquence une plus importante pollution de l'air.
Comment expliquez vous que les cités "étalées" soient moins
pénalisées par la congestion que celles qui voient leur développement
limité par des politiques de "croissance planifiée" ?
Il y a une simple raison que les défenseurs de la planification sous
estiment toujours: quand les villes s'étendent par leur frontière, les
emplois tendent à suivre les gens, ce qui réduit le besoin de
déplacements radiaux.
C'est vrai, nous observons le même phénomène en France,
également. Les entreprises cherchent souvent des terrains moins chers à
la périphérie des villes. Mais voulez vous dire que les efforts
consentis pour bâtir des systèmes de transport collectif ferroviaires
sont voués à l'échec ?
Non, il ne faut pas être si systématique. Je refuse les approches
dogmatiques. Des aires urbaines qui ont une très forte densité de
population, telles que Paris, Manhattan, le centre de Londres, Tokyo, Hong Kong,
ne pourraient pas respirer sans leur métro. Dans ces coeurs urbains, il
faut bien prendre en compte les très hautes densités atteintes du fait
de l'histoire. Mais l'usage des transports collectifs chute dans
d'importantes proportions dès que les distances avec le bassin d'emploi
central augmentent. Particulièrement, toutes les expériences de
transports publics tangentiels ont été des échecs en terme de
fréquentation.
Les infrastructures de transport à forte intensité capitalistique,
telles que les métros et les trains de banlieue, sont performants pour
transporter les personnes des couronnes intérieures et des premières
couronnes de banlieue vers les centres pourvoyeurs de hautes densités
d'emplois. Mais les programmes visant à étendre ces modes de transport à
d'autres segments de marché sont autant de non sens économiques et
pratiques.
Les avocats du transport public répondent souvent à
l'argumentation qui précède en défendant les transports ferroviaires
légers, essentiellement les tramways. Qu'en pensez vous ?
Je n'ai jamais rencontré de projet de Tramway qui atteigne des
objectifs qui n'auraient pu être mieux remplis par d'autres modes de
transport, que ce soit en terme de fréquentation, ou de congestion. Les
infrastructures de tram sont bien plus chères que les routes, les
privent de voies qui sans cela auraient pu être utilisées par les
automobiles, et ainsi réduisent les capacités totale de transport de
l'infrastructure. Tout ce que le tramway fait, les bus peuvent le faire
aussi bien. Les bus, comme les trams, peuvent se déplacer soit au milieu
du trafic, soit en site propre. Ils requièrent moins d'investissements
en infrastructure, les véhicules sont moins coûteux, et les programmes
de transports publics basés sur des bus fournissent de biens meilleurs
niveaux de service à coût identique. Si la capacité d'un itinéraire ne
peut être soutenue par des bus, alors il faut envisager un métro. Il y a
selon moi deux formes principales et légitimes de transport urbain
rapide, les bus en site propres, et les métros. Les tramways n'en font
pas partie.
De plus, les lignes de tramway manquent totalement de flexibilité.
Aussi seules les personnes vivant à l'immédiate proximité de stations en
tirent réellement profit. De ce point de vue, un système de bus
efficient est bien plus désirable que virtuellement tout investissement
dans des tramways.
Les villes étalées n'ont elles tout de même pas quelques
inconvénients, que vous ne rencontreriez pas dans les cités "maîtrisées"
?
Simplement dit, il n'y a aucun inconvénient véritable à vivre dans une cité étalée.
Cependant, quid de la question des gaz à effet de serre ?
L'étalement urbain ne contribue-t-il pas à augmenter les émissions de
GES ?
Il est claire que les politiques publiques sont aujourd'hui vouées à
provoquer une réduction des émissions de GES. Comme nous disons aux USA,
"le train a quitté la gare", et il est très important que nous nous
assurions que les stratégies employées pour y parvenir n'obèrent pas la
croissance, ni n'étendent la pauvreté. Notez que j'évite d'entrer dans
la discussion de savoir si les GES sont un réel problème, parce que,
franchement, cela va au delà de mon champ d'expertise, et que le monde
court un grand risque d'expansion de la pauvreté si certaines politiques
proposées sont appliquées.
Dans ce contexte, nous devons être très prudents sur le choix des
moyens permettant de parvenir à une véritable baisse des émissions de
GES. Ces choix ne doivent pas saper notre croissance. Des auteurs tels
que Benjamin Friedman (dans son ouvrage "les conséquences morales de la
croissance économique) ont montré qu'il était impossible de parvenir à
une cohésion sociale sans croissance. Les gens perdent foi en la société
lorsqu'ils ne croient plus qu'ils vivront mieux que leurs parents,
s'ils n'entrevoient pas un futur meilleur.
Par conséquent, nous devons choisir les moyens de réduire les
émissions qui ne vont pas entraver notre croissance et seront
économiquement efficientes. Les français sont leaders en matière de
recherche sur les relations entre mobilité, opportunités et réduction de
la pauvreté. Rémy Prud'homme, de l'université de Paris XII,
et d'autres, ont montré que plus les gens peuvent atteindre un large
choix d'employeurs, plus ils ont la possibilité d'améliorer leur
situation économique.
Mais si nous défendons des solutions coûteuses et inefficaces, nous
nous retrouverons à la fois chargés d'investissement inutiles que nous
traînerons des décennies durant, et nous manquerons de ressources
matérielles pour faire face aux challenges qui seront les nôtres. Bref,
nous aurons un monde plus pauvre et qui ne pourra pas s'offrir la même
protection de son environnement.
Voulez vous dire que les transports publics ne sont pas un moyen efficace de réduire les émissions de GES ?
les transports publics ont une valeur limitée, car ils sont
incapables de prendre une part de marché significative, puisqu'ils ne
sont pas adaptés à la plupart des besoins de voyage point à point.
L'agglomération moderne et prospère requiert que l'on puisse être mobile
de chaque point vers tout autre point. Par conséquent, bien plus peut
être accompli en matière de réduction des émissions de GES liée au
transport, en facilitant la fluidité du trafic, que par toute autre
stratégie.
Or, à certains endroits comme dans la ville de Paris, des programmes dogmatiques
enlèvent des voies de circulation aux automobiles pour les réserver aux
autobus, ce qui augmente la congestion routière, en même temps que cela
augmente la pollution de l'air et le rejet de GES, lesquels sont bien
plus élevés quand le trafic est peu fluide. Prud'homme estime que
l'économie Parisienne perd environ un milliard d'euros annuels à cause
de ces voies de bus injustifiées.
Bien sûr, en France, les transports ferroviaires sont
particulièrement économes en rejets de GES, car votre électricité
provient en grande partie du nucléaire, contrairement au reste du monde.
Cela donne un avantage certain au système ferroviaire. Mais vous
n'empêcherez jamais que même le système de transport le mieux conçu ne
puisse prendre en charge qu'une minorité de trajets dès que l'on sort du
coeur de ville.
Vous savez, même dans l'agglomération New Yorkaise, la part des
transports publics est de seulement 9% (à comparer à environ 30% en Ile
de France). Alors, même en plaçant de grands espoirs dans les agences de
transport collectif, vous ne pouvez pas espérer que les transports
publics ne soient plus qu'un marché de niche, sauf dans les hypercentres
urbains, lesquels tendent à perdre chaque jour des parts de marché au
profit des zones périphériques. Par conséquent, l'on ne réduira pas les
émissions de GES sans créer les conditions où les voitures réduiront
leurs émissions. Cela veut dire qu'il faut diriger les investissements
principalement vers l'augmentation de la fluidité des trafics.
En fait, la plus grande part des progrès peut être attendue des
avancées technologiques qui seront faites par les fabricants
d'automobiles, plus que des producteurs d'énergie ou de tramways. Dans
un futur proche, nous pouvons nous attendre à d'importantes réductions
des émissions de CO2 pour chaque trajet. Bientôt, des véhicules
diesel-hybrides seront mis sur le marché par les constructeurs
européens, qui produiront moins de GES par passager par kilomètre que
les transports publics new-yorkais. En dehors de NYC, les nouvelles
voitures neuves sont en moyenne moins émettrices de GES par
passagers_x_km que les transports publics. Dans ces conditions,
combattre la mobilité individuelle permise par l'automobile est un non
sens.
Nous tenons nos niveaux de vie pour garantis, mais nous devons rester
conscients du rôle joué par la mobilité dans l'élévation de notre
richesse. Tuer la mobilité nous rendrait incapables d'exploiter les
meilleures opportunités d'affaires ou d'emploi d'un bassin donné. Une
chute de la mobilité individuelle constituerait un gigantesque pas en
arrière.
Comment un système de transport collectif moderne devrait il à votre avis être conçu ?
Il doit être considéré comme un complément de l'auto-mobilité, pas
comme un substitut. Il y a des gens qui ne peuvent conduire, pour toutes
sortes de raisons: un transport collectif est de facto nécessaire à la
vie sociale des agglomérations. Mais leur meilleur choix, pour la
plupart d'entre elles, est de s'en remettre à un système de bus
efficace, supporté par une infrastructure qui favorise la fluidité à la
fois pour les véhicules individuels et collectifs. Et, au final, pour
les coeurs d'agglomérations très denses, des métros enterrés ou aériens
peuvent convenir --- Mais ils doivent être justifiés par une approche
économique. Or, trop souvent, les urbanistes sont pénétrés d'une
idéologie qui tend à favoriser les transports urbains ferroviaires quels
qu'en soit le coût --- Et le coût qui en résulte consiste souvent en un
niveau de service moindre, et une fréquentation moindre des transports
publics. Cela peut sembler paradoxal, mais c'est la réalité.
Un exemple: quand une compagnie privée a proposé de construire un
monorail à Las Vegas, elle a affirmé qu'il parviendrait à transporter
54 000 voyageurs par jour. J'ai prédit que le nombre de voyageurs
serait compris entre 16 et 25000, et que l'agence de transport serait
incapable de rembourser ses emprunts obligataires au bout de quelques
années. Ma prévision n'a pas été totalement exacte. Le trafic a atteint
21 000 passagers, certes, mais la compagnie devrait vraisemblablement
être en défaut de remboursement prochainement, quelques années après la
date que j'avais estimée...
Vous enseignez en France depuis 7 ans (NdVB: au CN des Arts
et métiers), quelles sont les bonnes ou mauvaises leçons que vous tirez
du développement des villes en France ?
Tout d'abord, je tiens à dire que j'adore la France, et que je ne
ressens jamais, de la part des personnes avec lesquelles je suis en
contact, le supposé "anti-américanisme" que l'on prête généralement chez
nous aux français.
Pour les questions du logement et d'aménagement, la France et les USA
ont eu chacun leur part de difficultés. Tous les deux ont bâti de
grands ensembles en hauteurs qui se sont transformé en environnement
quasi carcéraux. Aux USA, nous sommes décidés à les effacer du paysage,
et beaucoup ont été détruits. En France comme aux USA, ces politiques
ont créé de vastes quartiers de style soviétique dans lesquels ne
règnent ni l'ordre, ni la sécurité. Un de mes bons amis au sein du
milieu académique français m'a dit qu'il y avait 400 quartiers de ce
type en France. Je ne sais pas si c'est vrai (NdVB: Hélas...), mais tout de même, quatre cent !
Mais dans le même temps, nos deux nations ont connu des réussites
réelles. La plupart des banlieues de Paris et des autres grandes villes
sont des endroits tout à fait attractifs, comme elles le sont chez nous.
Ce sont des modèles urbains où nombreux sont ceux qui aiment vivre.
Aux USA, le secteur privé a particulièrement bien réussi à résoudre,
dans l'après guerre, le problème alors inévitable de la pénurie de
logements. Les banlieues américaines résidentielles d'après guerre ont
créé les conditions d'une expansion de la propriété individuelle, de 40 à
près de 70% des ménages. La richesse ainsi créée a changé des millions
de vies pour le meilleur, dont notamment celles des familles de nos
urbanistes planificateurs, dont les familles n'auraient pu leur offrir
d'études universitaires si elles n'avaient pas pu prospérer grâce à
l'accession à la propriété. Sans l'étalement urbain, un certain nombre
d'urbanistes planificateurs seraient probablement devenus plutôt des
plombiers, ou des chauffeurs.
Bref, les histoires de la France et des USA démontrent amplement que
permettre aux propriétaires fonciers de développer les zones urbaines
périphériques se traduit par une plus grande prospérité.
Merci beaucoup, Wendell !
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