Le
débat sur la "nécessaire régulation" de la finance fait rage, non sans
quelque raison. Mais visiblement, personne ne se pose la question des
caractéristiques d'une bonne et d'une mauvaise régulation. Aussi
beaucoup voudraient qu'il y ait PLUS de règles, et PLUS de régulateurs
pour les faire appliquer, croyant que cela suffirait à remettre le
secteur financier coupable de tous les maux dans le droit chemin.
Or,
les échecs, incontestables, du monde financier actuel, ne sont pas le résultat d'un MANQUE de règles. Il sont celui de l'incapacité,
pour des raisons variées souvent évoquées ici, des états, de
conserver aux réglementations en vigueur leur cohérence, et la capacité
de les faire appliquer.
On ne peut aborder le sujet de la
régulation sans tenter d'en définir des objectifs, les modes
d'intervention, les mesures du résultat, avec une démarche
intellectuelle rigoureuse. Il n'est pas question de faire le tour de
tous ces sujets dans un seul article, mais de progresser au fur à
mesure vers une approche systématique et cohérente des différents modes
de régulation, de leur efficacité.
Voyons aujourd'hui les apports possibles et réels de l'état régalien à la régulation financière.
L'état régalien L'Etat
régulateur a fixé de nombreux objectifs à ses interventions. Sans
discuter de la pertinence de ces objectifs ou de leur atteinte
effective, citons: la normalisation technique, la fourniture des moyens
de l'échange (routes et monnaie), la prévention des risques, la
prévention des faillites bancaires, l'aide aux démunis, la
redistribution des richesses, la protection de l'environnement...
L'état est il légitime à intervenir dans tous ces domaines ? Est-il
efficace ? Pourrait-il l'être ? Tous les articles de ce blog traitent
peu ou de cela, pêle mêle. Mais quid de ses fonctions basiques ?
Historiquement, le premier rôle des premières
formes de pouvoir fut de protéger les communautés des agressions
extérieures et des mauvais agissements de certains de ses membres, soit
préventivement, soit curativement. Les premières formes de pouvoir
étant le plus souvent organisées autour d'un souverain, s'arrogeant le
monopole de cette défense, ces missions essentielles furent qualifiées
par la suite de régaliennes.
Il existe plusieurs courants de
pensée au sein du libéralisme. L'un d'entre eux, le courant
anarcho-capitailiste, voit en toute forme d'intervention publique une
menace implicite et qui pense que toute problématique doit être prise
en charge par des institutions de nature privée. L'autre, le courant libéral "classique", largement
majoritaire, estime que la société libérale ne peut se passer d'état,
pourvu qu'il respecte un certain cahier des charges, pour assumer ces
missions régaliennes.
Laissons de côté les questions de
défense, sans rapport direct avec la régulation financière et
économique en général, et intéressons nous plutôt à la régulation de la
malhonnêteté, tout à fait essentielle dans un état de droit, et plus
particulièrement de la malhonnêteté économique.
La régulation de la malhonnêteté : sanction et prévention de la prédation Il
existe trois façons de gagner sa vie: s'inscrire dans un système
d'échanges libres, y échanger son travail contre celui des autres, et
s'y comporter en honnête homme, c'est à dire, selon l'éthique libérale
définie par Jacques de Guénin, "
s'interdire d'obtenir quoi que ce soit de quiconque par quelqu'un par coercition ou tromperie". Ce comportement peut être qualifié de "
producteur", ou "d'honnête homme".
A
l'opposé du spectre, il existe des individus qui trouvent que la
coercition et la tromperie ne heurtent pas leur morale personnelle et
qu'il y a pour eux avantage à l'utiliser. Ce comportement est typique
du
prédateur. Il vise
à obtenir plus en donnant moins.
Enfin,il
existe une troisième famille de comportements, que certains appellent
"rentier", "exploiteur" ou "assisté", selon ses préjugés, ou selon que
la rente soit d'origine capitaliste, assurancielle, ou d'une politique
redistributive des états. La classification des bénéficiaires de ces
rentes est l'objet de débats souvent houleux entre libéraux et
socialistes, cet article ne l'abordera pas.
Retenons
simplement que l'homme oscille constamment entre la tentation
prédatrice et la raison productrice. L'homme est il par nature bon ou
mauvais ? Producteur ou prédateur ? Est il amélioré ou corrompu par le
système dans lequel il vit ? A ce jour, il n'y a aucune réponse
scientifique sérieuse à cette question qui est l'une des sources
majeures de réflexions philosophiques, éthiques et juridiques depuis la
nuit des temps.
Mais une expérience intéressante apporte
quelques éléments de réponse qui en valent bien d'autres. Cette
expérience est relatée par Levitt et Dubner (
photo) dans le très controversé
ouvrage "Freakonomics" qui leur valut un succès d'édition notable, et
des polémiques sans fin.
Une histoire de Bagels : 13% de "pourris naturels" ?

Un fabricant de
bagels
de l'est des USA, M. Feldman, avait imaginé le modèle économique
suivant: il laissait une corbeille de bagels à 1$ aux différents étages
des grands établissements de Manhattan, et récupérait le soir la
corbeille remplie de dollars et des très rares bagels invendus (ce
devaient être de très bons bagels !). Naturellement, une partie des
clients prenait les bagels sans payer, car le risque juridique était
nul: Tout ce que risquaient les consommateurs indélicats était d'une
part, que la connaissance de leur méconduite leur vaille une certaine
réprobation sociale de leur entourage, et d'autre part, que la
livraison de bagels s'arrête si le produit du vol excédait la marge du
fabricant. En contrepartie, le bénéfice du vol était faible: celui qui
ne payait pas son bagel pouvait être considéré comme un "malhonnête
naturel", c'est à dire quelqu'un dont la tentation malhonnête n'était
pas "pervertie" par un risque trop grand ou un espoir de gain trop
élevé.
Très méticuleux, notre fabricant a consigné toutes ses corbeilles durant des années.
La
moyenne retournée pour 100 bagels a toujours été à peu près constante
autour de 90$ pour 100 bagels, avec un minimum à 87$ avant l'été 2001.
La mythologie autour du nombre 13 trouvera là sans doute un nouveau
sujet de création artistique !
Plus intéressant, notre
fabricant a trouvé que plus la corbeille était posée dans des étages
proches de ceux de la haute direction, moins le retour des corbeilles
était bon. Cela n'a rien d'étonnant. Ces places sont rares, chères, et
il est compréhensible qu'une partie des personnes qui s'y trouvent
aient été sélectionnées par leur aptitude aux "coups tordus". Le même
phénomène se retrouve au sommet des pyramides politiques, et, lorsque
l'on regarde le who's who des politiciens français qui ont été
impliqués dans des
affaires plus que douteuses, l'on se rend
compte qu'au niveau de responsabilités nationales, le pourcentage de
gens à la morale personnelle élastique, donc potentiellement
prédatrice, excède très notablement 13%.
Il ne faut pas faire
dire à cette expérience plus qu'elle ne dit. Mais on peut
raisonnablement estimer que dans un certain environnement
institutionnel et culturel qui est celui des quartiers d'affaires aux
USA, le taux de "prédateurs naturels" varie autour de 10-13%, avec une
certaine propension à augmenter dans certains milieux, notamment aux
sommets des pyramides hiérarchiques. Dans un autre pays avec une autre
culture, ce pourcentage serait peut être plus faible ou plus élevé. Au
fond, plus de 85% d'honnêtes gens, voilà qui est plutôt rassurant pour
l'espèce humaine. Mais évidemment, le problème posé à la société est
celui du potentiel de nuisance de la fraction malhonnête restante.
Bonnes et mauvaises incitations Intéressons nous aux facteurs qui auraient pu faire varier ce pourcentage.
Imaginons
maintenant que notre fabricant de bagels ait eu à sa disposition un
moyen imparable d'identifier les mauvais payeurs et de leur envoyer un
gentil courrier de relance avec menace de dénonciation aux autorités.
Le plus probable est que la plupart des 13 % de voleurs auraient soit
renoncé à consommer un bagel, soit accepté de payer le dollar réclamé.
Notre vendeur aurait alors retiré, disons, 94$ par corbeille de 100
bagels, 4 ou 5 invendus, et le taux de fauche serait tombé à 1 ou 2%
par un ou deux irréductibles voleurs congénitaux qui ne pourraient pas
s'en empêcher et trouveraient le moyen de contourner la surveillance de
M. Feldman.
Vous me direz, à ce stade, que vous ne voyez pas le rapport avec la crise financière.
Mais
imaginons maintenant que, le risque d'être pris étant faible, l'enjeu
de la rapine ne soit pas un bagel à un dollar, mais l'argent de
l'entreprise et des actionnaires, et qu'un dirigeant haut placé mais
peu ou pas actionnaire de sa grande banque ait les moyens, disons,
d'exposer sa banque à un niveau de risque insoutenable à long terme,
mais permettant à très court terme de se verser des bonus élevés, voire
de choisir le bon moment pour vendre son paquet d'actions personnelles
au plus haut, avant le grand plongeon: quel pourcentage de dirigeants
auraient allègrement franchi le pas ?
Bref, le risque de
rencontrer des acteurs économiques malhonnêtes (M) est égal à une
fraction incompressible de l'humanité (K) MOINS un terme fonction du
risque de se faire prendre et punir (R) PLUS un terme fonction
croissante de l'espoir de gain (G).
M= K - (R) + (G)
Une
bonne régulation de la prédation suppose donc que R soit élevé et G
faible. Comme, dans la haute finance, réduire l'espérance de gain lié à
la tricherie G est difficile (la finance brasse de toute façon beaucoup
d'argent), augmenter la valeur de R, donc le risque de punition, est
vital.
Sans risque de sanction, il n'est point de régulation possible Tout
comme l'histoire des bagels de M. Feldman, les comportements des
dirigeants de certaines banques avant le déclenchement de la crise (et
après aussi...) montrent qu'en l'absence de risque de sanction, ou du
moins lorsque le risque de sanction perçu est faible, alors
l'occurrence de tricheurs est inévitable, et que la propension à la
tricherie – et le pouvoir de nuisance sociétale qui en résulte - est
fonction sans doute croissante de ses bénéfices attendus. Et peut être,
à partir d'un certain point, exponentiellement croissante.
Pour
avoir négligé cet aspect inhérent à la nature humaine, certains
économistes, y compris libéraux, ont cru que les simples "forces de
marché" auraient pu éviter d'en arriver là, du moins à une telle
échelle. Le plus emblématique d'entre eux est
Alan Greenspan qui a déclaré au congrès, alors qu'il était entendu en tant qu'ex président de la FED, que :
“I made a mistake in presuming that the self-interests of organizations,
specifically banks and others, were such as that they were best capable
of protecting their own shareholders and their equity in the firms,”
Je
me suis trompé en présumant que les intérêts propres des organisations,
spécialement des banques et autres, étaient tels que les actionnaires
et leur capital dans ces firmes n'en serait que mieux protégé.
L'erreur de Greenspan vient de ce qu'
il n'existe pas d'intérêt des organisations,
mais que des intérêts des individus qui la composent. Si la plupart des
salariés ont intérêt que leur entreprise soit durablement bien
portante, certains peuvent faire un calcul différent et essayer de
prendre beaucoup très vite, et laisser aux suivants le soin de réparer
les dégâts éventuels.
Les économistes ne sont pas tous de bons
sociologues, et à leur décharge, reconnaissons que l'inverse est
également vrai. La sagesse populaire sait depuis longtemps que lorsque
l'on ouvre un pot de confiture devant un enfant, il va plonger les
mains dedans si rien ne l'en retient. La peur de la sanction est
absolument indispensable pour réduire la probabilité qu'un dirigeant
non ou peu actionnaire de son entreprise n'arbitre en faveur de ses
intérêts à court terme, et contre ceux de ses actionnaires à long
terme.
Et pour que la peur de la sanction soit effective, il faut que quelques conditions soient remplies.
Tout
d'abord, les moyens de détection de la prédation doivent exister.
Ensuite, il doit être possible de se saisir de la personne et des biens
du prédateur, afin de pouvoir d'une part rembourser, autant que faire
ce peut, les préjudices causés aux victimes, et ensuite punir le
prédateur pour son mauvais comportement, et ce de façon à ce que la
perte liée à la découverte de son méfait soit supérieure, voire très
supérieure au gain qu'il en a retiré.
Bref,
il faut que les gens honnêtes puissent avoir la possibilité de se comporter comme des prédateurs vis à vis des prédateurs.
Autrement dit, la prédation est indésirable lorsqu'elle est "offensive"
et s'exerce du prédateur vers l'honnête homme, mais elle est hautement
indispensable lorsqu'elle est "défensive" et s'exerce des honnêtes gens
envers les prédateurs "offensifs".
Seul problème, qui va décider qu'une personne est un prédateur, et qui va dans les faits pouvoir exercer la contre-prédation ?
Pourquoi l'Etat ? Le
problème est que les personnes en charge de la "prédation contre les
prédateurs" doivent pratiquer la "prédation honnête". Dur paradoxe,
quand votre spécialité est justement l'emploi de la coercition contre
des tiers. Or, n'oublions pas que, d'après les bagels du bon M.
Feldman, il y a dans chaque groupe une moyenne de 10 à 13% de
malhonnêtes congénitaux (aux réserves sur l'universalité de ce chiffre
près), et que le ou les organismes contre-prédateurs n'échapperont pas
à cette fatalité. Or, si le contre-prédateur utilise sa force contre
l'honnête homme, il cesse lui même d'être un honnête contre-prédateur
défensif, désirable, et devient un prédateur offensif, nuisible.
Des
polices et justices purement privées, sans qu'il existe une puissance
qui les dépasse capable de briser leurs aspirations prédatrices,
tendront à se comporter comme n'importe quel CEO de Countrywide ou de
Lehman Brothers: parce qu'elles comporteront en leur sein une
proportion suffisante de gens malhonnêtes, elles transgresseront
l'interdit pour maximiser leur avantage, elles tricheront avec
l'honnêteté pour "recevoir plus en donnant moins". Pire même, il est
probable que leur nature attire à elles d'authentiques prédateurs
attirés par les perspectives de gain liés à un usage détourné de la
force : elles concentreront dans une même entité une capacité d'usage
de la force supérieure à la normale et une propension à la prédation
tout aussi hors norme.
La seule réponse, nécessairement
imparfaite (mais l'homme est imparfait, rien de ce qu'il crée ne peut
être parfait), mais praticable, que les humains ont expérimentées pour
que le contre-prédateur soit cantonné dans les limites de la sanction
des malhonnêtes, est la démocratie fondée sur la séparation de divers
pouvoirs, avec un pilier législatif fondé sur les principes simples de
la Rule of Law, et des systèmes d'équilibre entre pouvoirs empêchant
que l'un prenne le pas sur les autres et puisse se muer en prédateur
incontrôlable. C'est ainsi que les armées sont divisées en corps sous
commandement différents, que la gendarmerie est clairement identifiée
comme une composante spécifique, complémentaire des polices civiles,
qui peuvent être nationales ou locales, le tout sous le contrôle de
trois piliers (exécutif, législatif, judiciaire) qui doivent
s'équilibrer et empêcher l'un d'entre eux de sombrer dans l'excès
prédateur.
Certes, les échecs de l'état contre-prédateur comme
les exemples d'états dont les représentants deviennent eux mêmes
prédateurs existent, et prennent une ampleur inquiétante dans le
contexte actuel. Mais une organisation totalement privée du maintien de
l'ordre, dans le même contexte, n'obtiendrait pas de meilleurs
résultats.
En effet, sans crainte d'une sanction par un acteur
auquel l'impôt donne une puissance financière, et la démocratie une
légitimité populaire hors d'atteinte d'un opérateur privé, alors les
forces de contre-prédation privées ne sauront résister longtemps à la
tentation prédatrice. Le chaos dans lequel se sont enfoncés des
sociétés où les prérogatives régaliennes relevaient de facto
quasi-exclusivement de l'action privée, tels que le Liban d'avant 1976
ou la Somalie, dès qu'un prédateur un peu puissant a été lâché dans ces
sociétés, montre empiriquement que hélas, sauf à inventer quelque chose
de nouveau, des pouvoirs publics sous contrôle populaire démocratique
ayant les moyens effectifs de lutter contre les prédateurs sont le seul
moyen, fut-il très imparfait, d'éviter une telle évolution de la
société.
Les anti-libéraux utilisent souvent l'image du renard
libre dans le poulailler libre pour discréditer l'idée libérale. Mais
les libéraux classiques l'ont toujours rappelé : sans un berger armé
pour faire comprendre au renard qu'il a intérêt à contrarier sa nature
prédatrice pour pouvoir lui aussi vivre en paix, la coexistence des
deux sera impossible. Quand bien même les poules seraient armées elles
aussi, face au renard, la lutte serait de toute façon très inégale.
Hayek ou Bastiat ont reconnu la nécessité d'un pouvoir public pour
limiter la prédation offensive. Le marché fournit un excellent cadre
aux échanges libres entre producteurs, mais les outils qu'il a
développés pour cette fin ne se révèlent pas aussi bien adaptés à la
gestion du rapport de la société à ses prédateurs.
Nous voyons
donc pourquoi l'état régalien est un élément indispensable au bon
fonctionnement des sociétés humaines. Le problème de nos sociétés
modernes est que l'état, en voulant s'investir dans l'économique, le
social, le technologique ou le culturel, semble avoir totalement
négligé ses devoirs en terme de répression des prédateurs, quelle que
soient la forme qu'ils prennent, bandits de banlieue ou grands
financiers en costume de luxe. Pis même, trop souvent, le berger semble
avoir passé un accord avec le Renard.
Quand l'état protège le prédateur
Les
constructions juridiques actuelles rendent difficile la poursuite au
pénal de comportements plus que litigieux comme on peut le voir dans le
cas de
l'affaire des fonds "créés pour chuter"
par des banques telles que Goldman Sachs. Nul doute qu'une législation
plus basique aurait considérablement réduit l'incitation de cette
banque aujourd'hui au centre de bien des scandales à créer certains
montages litigieux.
Mais il y a pire. Dans un certain nombre
de cas, l'état, loin de poursuivre des personnes dont le comportement a
été pour le moins douteux, semble les protéger.
Quelques
dirigeants d'établissement financiers semblent avoir, disons, très
largement profité de leurs "erreurs de jugement" sur les produits
structurés de crédit, entre autres, et n'ont pas personnellement à ce
jour beaucoup souffert des pertes que leurs décisions à court terme ont
causé à leurs établissements, à leurs actionnaires, à leurs salariés
licenciés. Nous pouvons citer entre autres Angelo Mozilo, le CEO de la
banque Countrywide, qui aurait semble-t-il régulièrement harcelé Fannie
Mae et Freddie Mac pour qu'ils achètent en portefeuille des obligations
émises par des MBS packagées par ce même monsieur Mozilo, et qui,
sentant parfaitement la nature fragile du montage, aurait revendu la
plupart de ses actions avant la débâcle finale. M. Mozilo est
actuellement sous investigation par la SEC, mais pour l'instant, aucune
charge ne semble retenue à son encontre. Il est également soupçonné
d'avoir octroyé à des membres du congrès des prêts particulièrement
avantageux: pas de suites non plus.
Nous pouvons également nous rappeler d'un autre personnage (déjà cité ici),
Franklin Delano Raines, ex CEO de Fannie Mae jusqu'en 2004, qui fut
convaincu par la SEC d'avoir enjolivé les comptes de sa sociétés pour
permettre à lui même et son staff de toucher de gros bonus au début des
années 2000, reportant les pertes aux années suivantes, et engageant
sans états d'âmes Fannie Mae dans la politique de crédits faciles qui
allait mettre à genoux cette entreprise garantie par l'état US quelques
années plus tard.
J.Johnson (haut), F.D. Raines (Bas),
et A. Mozilo (Droite)
A ce jour, Raines, un membre de
l'establishment démocrate, n'a pas été poursuivi par la Justice de son
pays. Pas plus que son prédécesseur, un certain James Johnson, dont certaines décisions pourtant ont prêté à discussions... Pas plus que M. Mudd, son successeur, qui a, malgré les
avertissements de son département des risques, cédé aux pressions des
politiques qui voulaient que Fannie (et Freddie) subventionnent par
tous les moyens le crédit pour l'accès à la propriété, en rachetant des
quantités considérables de MBS émises par MM. Mozilo et alter ego,
faisant monter l'effet de levier de son entreprise à 80 fois ses fonds
propres, en intégrant tous les engagements hors bilan de l'entreprise.
Ni Johnson, ni Raines, ni Mudd, ni les dirigeants de Merill, de Lehman, de Wamu, de
Wachovia, et sans doute bien d'autres, ne pouvaient ignorer que de
telles pratiques étaient contraires à des années d'expérience et de
savoir accumulé sur les bonnes et mauvaises pratiques en matière de
saine gestion des établissements financiers.
Tous ces gens savaient que les escrocs risquent gros aux USA (
Bernard Madoff ne dira pas le contraire, bien qu'il ait fallu beaucoup de temps pour découvrir sa pyramide de Ponzi),
mais que si leurs méconduites pouvaient être assimilées à de simples
erreurs de jugement, alors ils pourraient espérer prendre l'argent et
filer, car ils pouvaient compter sur l'appui indéfectible de leurs amis
à Washington pour réparer leurs erreurs, de préférence avec l'argent du
contribuable.
Cette forme de capitalisme un peu particulier et
hautement nuisible, le "predatory capitalism", a pris un essor tout à
fait particulier au sein de grands établissements dont les plus grands
actionnaires ne possèdent qu'une fraction du capital total, et
obtiennent des conseils d'administration des contrats de travail qui
tiennent du mercenariat plus que de la protection de l'intérêt à long
terme des actionnaires.
De l'art de choisir ses complicesBernard
Maddoff avait omis d'associer l'état à ses combines: cela lui sera
fatal, et il pourra y penser longtemps au fond de sa cellule.
Les dirigeants des GSE ou des banques qui leur refilaient des crédits frelatés, au contraire,
faisaient partie du schéma mis en place par l'état
pour atteindre un objectif politique, "multiplier le crédit aux ménages
modestes", qui autorisait toutes les contorsions du droit pour y
parvenir. C'est ainsi que toutes les tentatives de rendre plus
transparentes certaines opérations de titrisation se sont heurtées au
fait que deux acteurs sous parapluie public, Fannie Mae et Freddie Mac,
étaient les premiers utilisateurs de ces "SIV" basés off shore, qui
leur permettaient d'émettre ou de garantir des obligations représentant
80 fois leurs fonds propres, un effet de levier qui garantissait au
staff de ces entreprises de confortables primes tant que tout allait
bien, mais qui était insoutenable en cas de retournement de
conjoncture.
Plusieurs fois, entre 2002 et 2006, quelques
parlementaires éclairés ont tenté de réformer Fannie et Freddie: à
chaque fois, il s'est trouvé une majorité de politiciens pour rejeter
la réforme. Fannie et Freddie ont dépensé plus de $100 millions en
lobbying pour arriver à ce résultat.
En s'autorisant à
intervenir dans le fonctionnement de l'économie, soit pour "la
stabiliser", "la piloter", ou "corriger les résultats du marché",
l'état développe des liens avec les grands décideurs économiques. De
fait, ces personnes, intelligentes et dotées de grands moyens, peuvent
aisément infléchir les mesures que l'état est amené à prendre pour
parvenir à ces résultats pour créer un cadre juridiquement favorable à
des agissements peu ou pas défendables, mais très lucratifs à court
terme.
L'intervention de
l'état dans la sphère économique est donc vouée à réduire l'efficacité
de son action régalienne, notamment contre le capitalisme de prédation.
Camouflage et hypertrophie textuelle
Le
droit, outil essentiel au service de la morale, de la protection des
gens honnêtes contre les prédateurs, est aujourd'hui perverti par une
inflation textuelle dont les bandits en col blanc savent tirer parti.
Le droit est devenu l'instrument de camouflage favori du prédateur
furtif. "Lorsqu'il y a inflation de textes, on dévalue le droit" :
Jamais cette citation d'Alain Madelin ne parait aussi actuelle que lors
des événements auxquels nous sommes en train d'assister.
Le
droit devrait donc non pas tenter de décrire absolument toutes les
situations et comportements possibles et imaginables, mais au contraire
en revenir à des principes simples: Obligation de transparence dans les
opérations financières, allant jusqu'à la décomposition en
"investissements primaires" des éventuels produits dérivés détenus dans
les comptes, sincérité des comptes présentés, visibilité de l'ensemble
des acteurs de marché.
Lorsque des acteurs de marché plus
performants que la moyenne, comme Harry Markopolos, ont flairé
l'arnaque Maddoff, celui ci a réussi à endormir la SEC qui l'a pourtant
contrôlé plusieurs fois. Une fois "blanchi" par la SEC, Maddoff pouvait
se prévaloir d'une nouvelle virginité et séduire de nouveaux
investisseurs. Si au lieu d'être réservée à un bureaucrate de la SEC
peu inspiré, toutes les opérations du fonds Maddoff avaient été
scrutables par le grand public, nul doute que des dizaines de
Markopolos auraient compris le danger bien avant qu'il n'atteigne la
cote de 50 milliards... Et même le plus benêt des inspecteurs de la SEC
aurait pu bénéficier de ce travail d'observation collectif et confondre
l'escroc.
Mais il n'y a aucune chance pour que des lois de
transparence voient le jour outre Atlantique, et par la même au niveau
international: la plus grande opération de camouflage d'opérations
douteuses jamais mise en place est tenue par un opérateur sous statut
particulier, la FED, qui a reçu du gouvernement l'onction pour prendre
en pension des obligations "toxiques" détenues par des banques en
difficulté contre du cash, et ce sans dévoiler les banques
bénéficiaires de ces largesses, afin, officiellement, de ne pas
entacher leur... Stabilité. L'administration Obama vient une fois de
plus de réussir à faire rejeter les propositions parlementaires d'audit
de la FED dans la nouvelle réglementation bancaire, qui ne fera que
remplacer quelques milliers de pages d'effets pervers par d'autres
milliers de pages d'effets pervers.
L'argent facile ainsi
gagné par les acteurs les plus déficients du marché servira une fois de
plus à alimenter toutes les fraudes, toutes les gabegies, toutes les
"erreurs de jugement providentielles", et prises de risques
court-termistes.
Malhonnêteté des rues Bien que cela puisse paraître éloigné des questions financières -
mais l'est-ce tant que cela ?
- il n'est pas inutile de rappeler le terrible échec de notre état en
matière de lutte contre la délinquance "ordinaire", celle des rues et des cambriolages.
Depuis
40 ans, notre état n'a guère été plus efficace à traiter la
malhonnêteté des rues que celle des bureaux lambrissés et des salles de
marché. Voici les statistiques de l'évolution des actes de délinquance
enregistrés entre 1960 et 2000.
année | 1960 | 1974 | 1980 | 1990 | 2000 |
Nb officiel de victimes d'actes de délinquance (en milliers) | 500 | 1300 | 1700 | 2700 | 3400 |
Nb officiel de victimes d'actes violents (en milliers) | ND | 100 | 150 | 200 | 400 |
Source : insee
En
outre, ces chiffres ne tiennent pas compte des cas de plus en plus
nombreux où les victimes ne portent pas plainte, pour éviter toutes
représailles, phénomène régulièrement mis en évidence par des enquêtes
de victimation anonymes.
Pendant toutes ces années, l'état
Français (avec les collectivités locales), qui n'a jamais vraiment été
nain, est passé de 36% à 54% du PIB en terme de dépense totale, une
croissance de 50% ! Aucune déduction en terme de causalité, par contre,
il est certain que le surcroît de dépenses et d'ingénierie sociales
initiées par l'état durant cette période n'a fait aucun bien aux
statistiques sur la sécurité.
On peut affirmer sans trop de
crainte d'être contredit que les théories post soixante huitardes,
excusatoires au possible et voulant à tout prix voir en toute crapule
une "victime de la société", ont durablement pourri les relations entre
prédateurs et producteurs, que ce soit à l'école, dans l'entreprise ou
dans les prétoires, et, sans doute pire encore, au sein des familles.
Mais
le rôle de l'interventionnisme de l'état dans l'expansion de la
délinquance ne s'arrête pas là. Lorsque l'état oublie son rôle régalien
pour se concentrer sur l'interventionnisme économique et social, sous
les auspices de théories excusatoires dominantes, il engendre un
certain nombre d'effet pervers:
- Plus l'état se donne
le pouvoir de redistribuer le fruit d'importantes ponctions fiscales à
telle ou telle catégorie, plus il créée d'incitation au lobbying pour
appartenir aux catégories bénéficiaires de ces largesses. Il en résulte
une prise d'importance excessive du rapport de force entre groupes de
pression et donnateurs publics.
- L'expression de ce
rapport de force peut dégénérer si la justice se montre incapable ou
n'a plus la volonté de réprimer les violations des droits de propriétés
qui en résultent, ce qui conduit des groupes à privilégier l'action
violente pour s'approprier des avantages que leur mérite propre
n'aurait pu leur procurer. Mouvements pseudo-syndicaux violents,
revendications communautaristes extrêmistes, justifications du
terrorisme, prospèrent sur ce terrain fertile.
- Plus ces
comportements d'appropriation imméritée par pression collective sur
l'état deviennent "légitimes" aux yeux d'une population anesthésiée par
leur répétition, voire leur normalisation, plus l'atteinte violente aux
droits de propriété est légitimée dans l'esprit d'un nombre croissant
d'individus. "Pourquoi pas moi si cela marche pour d'autres".
- Le
manque d'exemplarité de l'état, sa tendance à l'auto-protection de ses
brebis galeuses, et son incapacité à sanctionner réellement les
délinquances de type financier renforcent l'attractivité de toutes les
formes de prédation en augmentant l'acceptabilité sociale de la
"magouille".
- Et par conséquent, l'appareil
policier-judiciaire se voit submergé par la constatation de nouveaux
cas de violation de la loi, qu'il se donnera de moins en moins la peine
de réprimer.
- Rappelez vous la formule: M=K-R+G ;
L'inefficacité judiciaire créée des vocations à la délinquance.
L'individu évalue son espérance de gain en fonction des risques
encourus, et si cela ne contrarie pas sa morale personnelle, il
choisira les voies de la spoliation si elles lui semblent plus
prometteuses que celles du travail. En l'absence de changement de cap,
nous sommes en présence d'un risque d'emballement incontrôlable de la
délinquence, dans une période où la police et la justice n'auront pas
plus de moyens pour faire face à cette explosion.
Par
la faute d'un état qui ne sait plus les faire respecter, violer les
droits de propriété d'autrui devient un mode d'accroissement de plus en
plus ordinaire de son patrimoine.
Pire, "battre le
système" devient un jeu: les fraudes aux largesses de l'état prennent
un tour endémique, des plus petites aux plus amples.
Pendant
ce temps, la France qui travaille s'appauvrit: obligée de dépenser plus
pour protéger son capital, elle investit de fait moins pour développer
les biens et services répondant aux besoins actuels et futurs.
Prenons
l'exemple du logement: la sur-protection du mauvais payeur, considéré
par avance par la loi comme une victime, alors que son propriétaire
n'est aux yeux des lois et souvent, de ceux censés l'appliquer, qu'un
vil rentier, conduit un nombre croissant de propriétaires à préférer
garder leurs logements vides, et ne rend possible la construction de
logements locatifs qu'à grand renfort de carottes fiscales qui ruinent
le contribuable... et désorganisent totalement le marché du logement.
Un tel gâchis de ressources se fait d'abord au détriment des plus
modestes que l'ingénierie sociale voulait pourtant "protéger".
Conclusion En
matière de répression de la prédation et de la malhonnêteté, l'état,
quelles que soient ses imperfections aussi inévitables que celle des
êtres humains qui le composent, est indispensable.
Or, force
est de constater que non seulement l'Etat, un peu partout dans le
monde, tend à démissionner de ses responsabilités en la matière, et que
pis encore, il se fait parfois complice des prédateurs les plus malins
et les mieux organisés.
Un état moderne n'est pas un état qui
prétend être l'ingénieur social de toute vie, de toute carrière, de
toute production. Un état moderne est celui qui permet aux acteurs
privés de la société de se prendre en charge, et qui assure un cadre où
l'honnête homme aura peu à craindre de l'inévitable présence de
prédateurs, fraudeurs et profiteurs en tout genre.
Pour cela,
l'état doit abandonner toute une batterie d'interventions prétextes à
toujours plus de fourre-touts législatifs dans les failles desquelles
tous les aigrefins s'engouffrent avec délectation, et revenir aux
fondamentaux du droit: découvrir et sanctionner sans faiblesse ni excuse ce qui sépare le
producteur du prédateur.
Faute de quoi les états devront faire face à une explosion de la prédation, qu'elle s'habille en col blanc ou en blouson noir.
-------------
Lire également : Moraliser l'étatisme, agent infectieux du capitalismeRendons à la social-bourgeoisie ce qui n'appartient pas au libéralismeSuivre le feuilleton de la loi "Audit the FED":
ronpaul.com --------------
Les commentaires récents